Cette conférence partira de l’expérience pratique du psychologue clinicien, pour montrer en quoi certaines pensées phénoménologiques, comme celles de Bin Kimura ou de Blanckenburg, peuvent aider à affronter l’exposition au mal psychotique, impossible à regarder en face.
Si l’attitude psychotique est désarçonnante pour les autres, c’est par son caractère paradoxal. Alors même que le malade convoque son entourage, en évaluant la capacité de ce dernier à entrer dans son monde chaotique, il cherche parallèlement à quitter la place qui lui est assignée.
La rencontre psychothérapique avec le patient psychotique est en effet très exposante pour le clinicien. Alors que les référentiels classiques offrent une approche insuffisante, unifocale, l’abord phénoménologique fournit une aide complémentaire conséquente. C’est initialement dans un contexte de travail avec des patients autistes que la phénoménologie est venue à moi. L’abord phénoménologique offre une ressource pour tenter de comprendre et de suivre, dans un premier temps, la trajectoire existentielle des patients. Cependant, ce qui différencie fondamentalement le phénoménologue du patient, c’est que, pour le phénoménologue, ce qui est en question, « c’est l’évidence de ce qui est évident, et non pas cet évident lui-même », tandis que les patients, au contraire, ne sont confrontés à l’énigme de cette condition de possibilité que parce que chez eux « le besoin de question résulte de la rupture dans le rapport facticiel aux choses quotidiennes » (Blankenburg W., La Perte de l’évidence naturelle, Stuttgart 1971, Paris, PUF, 1991, p. 114-115). Plutôt qu’une mise entre parenthèse, il s’agit d’un « dérobement basal ». Ajoutons ce que Bin Kimura complète : « L’altération que provoque dans l’aïda la rencontre avec le patient psychotique […] empêche la conscience de soi-même habituelle. » (Kimura B., Ecrits de psychopathologie phénoménologique, Paris, P.U.F., 1992, p. 189). A partir de l’ « aïda » intersubjectif avec le patient, il s’agit à chaque fois, d’accomplir la traversée qui nous constitue nous-même, en articulant les modalités pathologiques de la formation du soi du patient aux nôtres propres. « Cette articulation […] est la plus difficile dans la psychose […], là où l’étrangeté radicale de l’autre précipite le psychiatre dans une situation extrême d’extranéation » (op. cit., p. 18). Ici peut se traverser, du côté du clinicien, ou « mère environnement » (Winnicott), une expérience plus voisine de celle du patient dans la mesure où, étant conduit à partager le désordre psychotique, il peut être, s’il ne trouve pas, ailleurs, de solides fondements, envahi à son insu.
Il s’agira donc ici d’examiner l’étrangeté de ce climat, de cette ambiance à partir de laquelle chacun doit déployer son exister, cet « entre », ou cet « aïda ». Il s’agira aussi de comprendre qu’une « phénoménologie de la bonne santé mentale » (E. Falque) a ses limites, là où certains vécus appellent une vraie phénoménologie du trou noir.
Je donnerai différentes vignettes cliniques qui illustreront cette situation parfois insoutenable.
Avec Isabelle Nebel, psychologue clinicienne – diplômée de ParisVII Denis Diderot – et psychanalyste. Elle exerce en psychiatrie et pédopsychiatrie depuis 25 ans dans un hôpital psychiatrique de la région parisienne. Elle a été formée au psychodrame par l’équipe conduite une trentaine d’années par Michel Soulé au CMP Corentin (Paris 14me). Elle a mis ensuite en place un psychodrame sur son secteur et le dirige depuis 16 ans. Elle a suivi les enseignements de Geneviève Haag et Hélène Suarez Labat sur l’autisme à l’Institut Claparède (Neuilly 92) qui l’ont amenée à s’intéresser à l’abord phénoménologique des situations complexes rencontrées au plan singulier, groupal et /ou institutionnel. Elle est membre de la Coordination internationale des psychothérapeutes psychanalystes s occupant d’autistes (CIPPA), de la Société Psychanalytique Freudienne (SPF), de Figures psychodramatiques et de l’École Française de Daseinsanalyse (EFD).