Historien de l’art, fondateur de l’iconologie, Aby Warburg (1886-1929) appartient à une famille de banquiers juifs de Hambourg. Il va connaître, suite à la défaite allemande de 1918, un effondrement psychotique. Après plusieurs séjours en cliniques psychiatriques, il arrive à Bellevue le 16 avril 1921. Ludwig Binswanger reprend, comme il l’écrit à Freud, le diagnostic de schizophrénie qui ne laisse guère d’espoir quant au rétablissement de ses facultés mentales.
Installé au pavillon Parkhaus des agités, il arrive à Warburg de rugir comme un lion le matin, mais l’après midi, il sort prendre le thé avec Mme Binswanger ou l’accompagne dans ses promenades. Lors de son internement, Warburg n’est donc pas coupé de tout lien social, ni du monde extérieur. Il peut, dans ses périodes d’accalmie, recevoir des visites. Il parle alors de ses recherches sur la migration des images ou discute de symbolique comme avec Hans Prinzhorn. Mais face à un état qui ne semble guère s’améliorer, la famille demande à Emil Kraepelin une nouvelle expertise qu’il effectue le 4 février 1923. Il conclut à un état maniaco-dépressif : une issue favorable est donc possible ! Désormais, Warburg va insister pour prouver aux médecins qu’il a retrouvé ses facultés intellectuelles. Soutenu dans son projet par son secrétaire Fritz Saxl, Warburg finit par obtenir l’autorisation de Binswanger de donner une conférence le 21 avril 1923 devant les pensionnaires et le personnel médical. Ce sera Le Rituel du serpent. Puis la venue d’Ernst Cassirer à Bellevue, avec lequel il correspond depuis quelques temps, ne fera que consolider leur complicité intellectuelle et le soutenir dans cette reprise de lui-même.
Et en août 1924, Warburg quitte Bellevue. Il peut reprendre ses séminaires, se consacrer à la construction d’un nouveau bâtiment pour accueillir tous ses livres, la célèbre Kulturwissenschaftliche Bibliothek, et commencer l’élaboration de son Atlas Mnémosyne.
Pour décrire cette traversée de la folie par Warburg, nous envisageons de mettre l’accent sur les rapports entre la Grande Histoire et ses répercussions sur son histoire personnelle et celle de sa famille, et les conséquences de l’antisémitisme ambiant sur sa santé mentale, alimentant délire, intuition et prémonition. Puis, tout en développant sa relation à Binswanger, souligner l’importance de son entourage intellectuel qui fut pour lui un soutien relationnel sans faille, favorisant son cheminement thérapeutique. Enfin, nous nous demanderons si l’on ne retrouve pas une trace de ses échanges avec Binswanger et de son cas clinique dans les écrits ultérieurs du psychiatre phénoménologue.
Avec René-Guy Guérin, psychanalyse et historien, docteur en Histoire des religions et des systèmes de pensée (EPHE – Sorbonne). Après avoir été chargé de conférences, il a enseigné dans des écoles de création et de design avant de se consacrer entièrement à la psychanalyse d’orientation existentielle. Il est membre de la Société de Psychanalyse Freudienne et de l’École Française de Daseinsanalyse.