
Concepts clés : Créolité, Identité, “Morbidité générale”, Créolisation, Archipel, rhizome, etc.
“La situation de la Martinique imposerait presque le soucis d’aborder ce réel sous l’angle d’une sorte de psychanalyse “globale”. On pourrait avancer ici l’idée d’une “morbidité générale” qui résulterait du processus historique de la formation de la collectivité, ainsi que des modalités originelles de son système économique” (…) “Ce que j’appelle la “morbidité générale” de la situation recevrait donc un début d’éclairage à partir de cette vue trop rapide du caractère de peuplement des Antilles : déracinement des arrivants, irresponsabilité technique, absence de médiation réelle avec le milieu. Les nombreuses révoltes populaires, seules susceptibles de traverser ces aspects négatifs, n’auront jamais pu, pour des causes diverses, (manque de perspective, petitesse du pays, trahison des élites), changer la situation.”
Edouard Glissant, Discours antillais.
Cette troisième séance fera retour à Edouard Glissant en prenant pour fil conducteur la notion de créolité tel que le poète du Tout-Monde l’interroge dans son Discours antillais. Car avant d’être porteur d’un quelconque souffle poétique, le terme de créolité est d’abord un terme qui renvoie, pour Glissant, à un “état de morbidité générale” du peuple antillais, c’est-à-dire un état dans lequel toute une population semble souffrir de troubles psychiques et langagiers dans l’exacte mesure où cette population ne peut ni se référer à un passé commun, ni à une langue ou une culture qui en serait comme la trace actuelle et authentique. Morbidité que Glissant explore également dans ses premiers romans qui mettent en scène la question de la filiation, des origines. Dans le Case du commandeur, par exemple, ce que les personnages dits “fous” délirent, ce n’est pas tant le triangle oedipiens, que le trou béant de l’histoire de leur lignée qui leur a été volée, autrement dit le gouffre béant dans lequel leur filiation est venue se perdre. Et ce sera en vue de dépasser cet état de morbidité général que Glissant s’efforcera ensuite, dans toute la deuxième partie de son oeuvre, de replacer les Antilles dans la mer des Caraïbes, de manière à en faire une entité géoculturelle ainsi qu’une nouvelle matrice poétique pour une identité sans racine unique ; une identité rhizome qui permette de repenser les rapports entre l’Un et le multiplie, et par implication les rapports entre universel et particulier, attention donné aux détails et Tout-Monde.
Norman Ajari, Noirceur. Race, genre, classe et pessimisme dans la pensée africaine-américaine au XXIème siècle. Paris, Edition Divergences, 2022.
Glissant, Edouard. Soleil de la conscience. Poétique I. Paris, Gallimard, 1956.
—. L’intention poétique. Poétique II. Paris, Gallimard, 1969
—. Le discours antillais ; Paris, Edition Folio-Gallimard, 1981.
—. La case du commandeur. Paris, Gallimard, 1981.
Fonkoua, Romuald. “Une psychiatrie aux Antilles”, dans. Essai sur une mesure du monde au XX siècle. Edouard Glissant. Paris, Edition Honoré Champion, 2002.