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Le langage marche au pas avec les bourreaux,
C’est pourquoi il nous faut inventer une autre langue.Tomas Tranströmer
Chose inouïe, c’est au-dedans qu’il faut voir le dehors.
Victor Hugo
Une phrase n’est pas qu’une association de mots juxtaposés bords à bords, un texte n’est pas qu’une suite de phrases informatives en enfilade. Il existe une dimension trans-spatiale du sens qui unifie la phrase écrite ou dite. Et c’est dans ce lieu sans lieu que se tisse précisément un sens, un fil narratif. C’est aussi de cette manière que se redéploient les possibilités imaginatives de la fiction.
Le grand bouleversement dans la philosophie de l’imagination que propose, après Kant, Paul Ricoeur est de dire que « l’imagination est une partie du langage » : il va faire du processus métaphorique le modèle miniature de toute création. Une métaphore est la collision de deux registres hétérogènes (« La Nature est un temple où de vivants piliers… »), c’est le rapprochement insolent de deux mondes a priori inconciliables, dans l’écart desquels surgit l’éclosion d’un sens neuf. Comprenons bien la portée d’une telle proposition : le premier brin de la phrase est stabilisé par ses règles, les normes habituelles et convenues de la prose du quotidien qui ronronne de manière confortable. Or, surgit un second brin qui est totalement étrange et étranger aux repères du premier dont il interrompt subitement la chaîne linéaire. Rien, aucun sens, ne devrait logiquement pouvoir émerger de ce choc sémantique inattendu : et pourtant, « envers et malgré tout », l’impossible devient possible, un sens neuf survient, une fenêtre de paysages inédits s’ouvre à nous. C’est comme si, pour échapper à la menace de destruction du premier brin par l’assaut de l’étranger, l’écart produisait une naissance : c’est la « riposte poétique ». Elle est le fruit improbable d’une rencontre entre la norme et l’étranger, entre une régularité et une singularité.
La nouveauté survient certes sans garantie ni assurance (il n’y pas de contrat de confiance ici, le risque doit être assumé), mais le processus métaphorique dessine néanmoins un principe d’espérance et de confiance extravagantes.
Cependant, que vient dire le poème sinon l’être poétisable du monde ? Il « signifie » non pas à partir d’un fondement mais d’un fond commun poétisable (Schelling) et propage quelque chose d’une expressivité qui existe au dehors, dans le monde, et qui trouve à se dire dans les mots expressifs du langage. L’expressivité ne partirait pas seulement des mots vers la Nature et les choses, mais connaîtrait aussi le mouvement inverse : du monde et des choses vers nous.
Dès lors, le modèle de la métaphore comme création d’un sens neuf est paradigmatique de tout procédé créatif comme écart et tension féconde entre deux registres que tout oppose, et constitue la chance, fragile certes, mais inouïe, que du nouveau survienne pour déjouer la menace de la continuation.
Voilà pourquoi les poètes sont si dangereux, et si essentiels par « temps de détresse » (Hölderlin, Heidegger).