
Le numérique offre de vastes opportunités pour l’amélioration des soins et la prise en charge des patients. Mais si les données de santé, d’une extrême sensibilité, sont protégées par le droit européen, leur quantité massive révise le périmètre de leur définition. Le Comité Consultatif National d’Ethique note que « toute information primaire prise isolément, apparemment anodine, doit être aujourd’hui considérée comme pouvant contribuer à une information sur la santé ». En croisant des données sans lien apparent avec la santé, il est possible d’extraire de nouvelles informations sur la santé des personnes. Les mesures de pseudonymisation ou d’anonymisation (qui visent à masquer l’identité de la personne dont les données sont partagées) peuvent en outre être détournées pour la ré-identifier. Ainsi, la mise à disposition pour des acteurs privés des données liées à la santé au sein de plateformes publiques centralisées (telles que le Health Data Hub ou l’European Health Data Space) en vue de l’innovation en santé publique fait courir le risque de l’effacement du secret médical, d’atteintes à la vie privée, etc. Le secteur de la e-santé participe dès lors d’un certain solutionnisme technologique, i.e. d’une propension à penser que chaque problème de ce monde peut être résolu par la technique, sous-estimant par là-même son impact néfaste sur les individus et l’environnement par exemple. Déjà souligné par le juriste et philosophe Jacques Ellul, développé par le philosophe Evgeny Morozov dans L’aberration du solutionnisme technologique en 2013, ce solutionnisme par la technique est en outre convoqué à l’aune du secteur de la santé par la philosophe Barbara Stiegler, vice-présidente du comité d’éthique du CHU de Bordeaux. De quelles pratiques médicales se doter pour conjurer surveillance et solutionnisme technologiques à l’aune du numérique en santé ?