Année 2018/2019Design with care-1

par Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, professeure du Cnam, chaire Humanités et santé, et Antoine Fenoglio, designer et co-fondateur des Sismo.

Autour d’une archéologie possible des “proof of care”: historiographie de design, spécificité du “design with care” : grands courants ou designers ayant porté une attention ou une réflexion globale à la société et à la vulnérabilité dans leurs travaux.

Ce premier cours d’historiographie cherche à identifier fils conducteurs et pratiques dont peut se réclamer la notion de Design with care, de l’Antiquité à 1939.

Le terme design connaît trois acceptions correspondant à trois dates de naissance possibles : à la Renaissance, le design comme projet (disegno), inaugure le début de la scission entre conception et réalisation en architecture ; l’exposition universelle de 1851, qui marque l’avènement du mode de production industriel au détriment de l’artisanat et du travail manuel ; le mouvement Arts & Crafts de William Morris, qui définit le design, au-delà du seul dessin d’objets, comme dessein d’une société équitable.

Le Design with care pose comme principe fondateur de faire passer l’attention avant la gestion : on peut interpréter les phalanstères de Fourier, lieux innovants d’hébergement visant à repenser l’organisation du travail et des loisirs en se préoccupant du bien-être des salariés, comme une illustration précoce de ce principe.

Le trauma de la première guerre mondiale engendre des bouleversements profonds. La volonté de faire table rase touche de nombreux domaines, notamment artistique (Bauhaus par exemple).Notre capacité d’expérience est durablement atteinte, comme le constate Walter Benjamin chez les combattants de 14-18, ou plus tard Agamben pour qui le « fatras des événements quotidiens » suffit à lui seul à atteindre la capacité résiliente de l’homme moderne – que le Design with care cherche précisément à rétablir.

L’application à l’industrie d’innovations nées pendant et pour la guerre met le design face au paradoxe du progrès. Collaborer avec l’industrie ou retourner vers l’artisanat ? Participer ou résister à la société de consommation ? seront désormais des questions récurrentes pour le design.

L’urbanisation croissante amènera les designers à réfléchir à l’organisation des villes : la charte d’Athènes (1933) prône la séparation des fonctions et une forte modélisation qui sera appliquée pour la reconstruction des villes après la 2eguerre mondiale. Le design with care s’inscrit plutôt dans la lignée de la charte d’Aalborg (1994) qui préconise au contraire la mixité des fonctions urbaines au service du développement durable