La Chaire de Philosophie à l’Hôpital publie ce mois-ci deux nouvelles études. Nous vous proposons aujourd’hui de découvrir la première d'entre elles, consacrée à la question du deuil des familles et proches de jeunes victimes de la route.

Cette étude arrive après la publication, en 2023, d’une première recherche menée sur le deuil dans les entreprises et les organisations (Mouratian, 2023), qui présentait un état des lieux des connaissances sur les conséquences de la perte dans un contexte professionnel. Elle soulignait ainsi la difficile prise en charge du deuil dans les entreprises (mort ou suicide d’un collègue, accompagnement insatisfaisant d’un personne endeuillée par la perte d’un proche sur son lieu de travail, etc.), voire sa non-reconaissance, et analysait les multiples formes qu’il pouvait prendre, interrogeant par là même les risques psychosociaux qui l’accompagnent et ouvrant des pistes de réflexions pour aménager une place pour le deuil au travail.
Quelques temps plus tard, une autre publication prenait comme angle d’attaque la question du deuil chez les professionnels de santé (Rolland-Piègue et al., 2024). Cet article relevait à juste titre que « la problématique du deuil est omniprésente et paradoxalement peu abordée de façon explicite sur les lieux de soin ou en formation, ou alors toujours sous l’angle du deuil des familles, mais rarement en partant de l’expérience des soignants » (Rolland-Piègue et al., 2024 : 206). En d’autres termes, l’expérience du deuil est toujours abordée d’un point de vue intime et familial, alors même que ses conséquences se ressentent dans toutes les sphères de la vie.

L’association Antoine Alléno a été créée après la disparition brutale de ce dernier dans un accident de la route dans lequel il fut la victime d’un homme en délit de fuite. Sa famille et ses proches ont décidé de transformer leur douleur en une énergie constructive pour aider et agir en fondant cette association. Par la mobilisation de ses bénévoles ainsi que de réseaux d’experts et de professionnels qualifiés, elle cherche à accompagner les proches, sensibiliser à la question des comportements dangereux et à mobiliser la société civile sur ces questions.
La présente étude, réalisée en partenariat avec l’association Antoine Alléno, s’attache cette fois-ci à la question du deuil d’une population qui ne devrait normalement pas partir si tôt : les jeunes. Le contexte de la mort, brutal et accidentel, plonge les proches dans un désarroi nullement envisagé. Car il ne s’agit pas ici d’un décès qu’on sait arriver, celui de nos proches malades ou âgés. Il s’agit de celui dont on pensait qu’à nous, il ne pourrait pas arriver. Elle est le fruit du travail de plusieurs auteurs : Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, titulaire de la Chaire de Philosophie à l’Hôpital, Catherine Tourette-Turgis, présidente de l’Université des Patient.e.s-Sorbonne et titulaire de la Chaire Compétences et vulnérabilités, Margaux Merand-Goldminc, docteure en philosophie et psychopathologie et psychanalyste, et Alexandre Lebeau, double masterant en affaires publiques et philosophie (Sciences Po Paris/ EHESS).

En une centaine de pages, les auteurs analysent les conséquences d’une telle disparition dans les familles. En plus d’étudier les formes de deuils classiques (normal et pathologique), la question de la mort traumatique est intégrée à l’analyse. Une mort traumatique qui met à l’épreuve le fonctionnement familial, aussi bien dans le couple, chez les parents, que dans les fratries. Dans cette perspective, les solutions d’accompagnement sont pensées par les auteurs, dans leurs avantages comme dans leurs inconvénients. Les auteurs pointent ainsi les limites de certains dispositifs, comme les groupes de soutien qui se révèlent être extrêmement bénéfiques pour libérer la parole, mais peuvent être confondus et se substituer à tort par les proches à un suivi thérapeutique qui leur est nécessaire.
L’étude se conclut par des réflexions philosophiques pour penser ces types de disparition, ouvrant des analyses sur le rapport à la temporalité et à l’expérience du sujet dans ces épreuves traumatiques.

Tout comme l’étude d’Anaïd Mouratian qui, en 2023, s’achevait sur des recommandations à l’attention des entreprises et des organisations pour accompagner leurs employés dans le deuil et prévenir ainsi les risques psychosociaux, cette étude propose en dernière partie des outils d’accompagnement pour les professionnels afin de les sensibiliser à ce type de deuil particulier. Ils trouveront ainsi des recommandations sous forme de fiches pour penser le cadre thérapeutique adéquat et orienter les discussions en fonction du contexte de consultation : primo-entretien, deuil dans le couple, deuil dans les fratries, deuil des parents, accompagnement de celles et ceux qui consultent par ricochet, s’occupant d’un de leurs proches endeuillé au quotidien, etc.

L'équipe de la Chaire de Philosophie à l'Hôpital