Texte 1
Trois jours, cela faisait trois jours maintenant. Il lui semblait pourtant que des mois, voire des années, s’étaient écoulés depuis son arrivée. À présent le son étouffé de la chambre lui était presque familier. Une sorte de cocon feutré, qu’il n’avait pas dû partager encore, si ce n’est avec le ronronnement des machines. Parfois il devinait l’agitation alentours par le claquement de sabots ou le glissement des chariots, l’écho étouffé d’une plainte. Mais le plus souvent il se trouvait dans un long vide qui le laissait tout à lui-même. Concentré sur les mouvements de son corps, recherchant les postures qui ménageraient ses douleurs, il parvenait de temps à autre à sombrer dans une sorte de torpeur. Ces moments bénis étaient de courte durée, invariablement battus en brèche par la traversée d’élancements si crispants qu’il devait s’accrocher à ce qui tombait sous sa main - morceau de draps, bords de lit, bouts d’oreiller. Et il fallait ensuite tenter de relâcher pas à pas, tenter de redescendre jusqu’au supportable, un instant, un instant seulement. Il n’avait pas d’autres pensées, ni vers ses proches, ni pour ses affaires, le peu d’énergie tout entier dirigé vers l’intérieur, pour tenir dans ces balancements continuels. Les longues plages rythmées par quelques détentes vaillamment conquises étaient brusquement interrompues lorsque le reste du monde manifestait sa présence, le temps d’un soin. Ces contacts lui demandaient encore davantage de force, mobilisant tout ce qui traînait encore pour accompagner les intrusions nécessaires. C’est son corps qui se contractait, anticipant les douleurs possibles, et sa tête qui se débattait, entre le désir d’être soigné et la crainte des souffrances avivées. Dans l’attente toujours différée d’une improbable consolation.
Texte tiré du livrable, p. 16. |