Dans cet état de l’art, est tout d’abord évoquée la reconnaissance d’une évolution des pratiques rituelles du deuil. Auparavant familial et collectif avec des rituels bien marqués, le deuil devient progressivement affaire d’individu et se déritualise (Baudrillard, 1976 ; Déchaux, 2000 ; Longneaux, 2020) autant qu’il se désinstitutionnalise. De moins en moins de place est donnée au mourant ou au mort dans l’espace social. Cette conception individuelle du deuil, qui se travaille tout au long du XXe siècle, débouche sur une médicalisation progressive des vécus du deuil (psychanalyse, psychologie, parfois psychiatrie avec prescription de médicaments en conséquence). Le deuil et ses vécus se retrouvent ainsi encadrés médicalement et socialement, avec des attentes sur sa durée, ou la façon d’être exprimé (Granek, 2014). Les individus se retrouvent même parfois à devoir « performer leur deuil », à manifester publiquement un endeuillé normatif, triste un temps, puis allant « de l’avant » et « ne se laissant pas abattre » malgré ces moments de mélancolie ou de tristesse, qui d’ailleurs doivent rester passagers. L’endeuillé idéal s’avère ainsi un endeuillé résilient, capable de mettre son deuil à part de sa vie, et d’y revenir quand il se sent ou quand il en a le temps. Un deuil hermétique, qui n’a aucune influence sur le travail, les relations sociales, familiales, sur le corps et tout juste sur la santé mentale. Un deuil qui ne correspond pas à ces attentes, parce qu’il est trop long ou trop manifeste, se transforme ainsi en deuil pathologique ou illégitime aux yeux des autres, ce qui exerce une pression sur l'endeuillé et peut l’enfermer dans une certaine solitude.
Pourtant, rares sont celles et ceux capables de faire leur deuil de la façon attendue et, dans les faits, la perte d’un être ne se cantonne pas à la sphère intime ou la sphère familiale, même si cela est espéré. Dans les risques psycho-sociaux, des études montrent une corrélation entre le deuil et une aggravation des maladies antérieures (notamment chez les femmes et les 18-24 ans), mais aussi des problèmes de concentration, des erreurs de jugement, une augmentation de blessures et accidents, l’arrivée d’un stress chronique ou le développement d’addictions (alcoolisme etc.) (équipe Sumer – DARES, 2021), autant d’éléments qui peuvent motiver la mise en arrêt, la perte d’emploi ou le changement de travail de l’endeuillé (CREDOC, Empreintes et CSNAF, 2021).
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