L’étude a avant tout consisté en une typologie de la production artistique – de la peinture aux objets de design, de l’Antiquité à nos jours, et couvrant plusieurs continents. Un état de l’art au sens strict, recensant non pas tout ce qui a été écrit sur le sujet mais bien tout ce qui a été artistiquement produit, et augmenté lorsque le besoin se fait sentir d’une explication des concepts essentiels pour nous apprendre à voir et comprendre ces œuvres.
Cette typologie a produit des archétypes caractérisant l’usage, la représentation et la compensation de la vulnérabilité, et la signification de ces derniers lors d’une lecture esthétique. L’étude formule également une série de propositions théoriques pour caractériser ces archétypes, et revient sur l’historiographie de la vulnérabilité.
Si une époque se définit par ce qu’elle dit et ce qu’elle voit (Foucault), alors qu’est-ce que chaque époque a dit et a vu de la vulnérabilité ? L’ont-elles traitée de façon louable, voire positive ? Ou au contraire ont-elle abordé la vulnérabilité de façon négative ou néfaste ? Quels types de vulnérabilités sont glorifiés et affichés ? Quels autres sont à l’inverse honnis et dissimulés ? Ce sont-là certaines des questions auxquelles cette étude se propose de répondre.
Elle part du paradigme antique, dans lequel la Beauté est un concept impliquant une certaine idée de l’Être, voire du Bien. La Beauté n’y est ni liée à des qualités sensibles (c’est plaisant), ni à sa valeur d’usage (c’est utile) mais renvoie à une qualité supra-sensible. Or si la beauté est suprasensible, si elle est transcendante, qu’advient-il lorsque le support du beau est soumis à des aléas, des accidents ? Lorsque l’on porte atteinte à la beauté, cela entraîne-t-il le rejet ? Devient-on abject ? La vulnérabilité nous fait-elle pencher du côté de la laideur ? On peut ici penser à une cicatrice, une brûlure, une maladie de la peau, qui tout en signalant notre vulnérabilité corporelle nous fait entrer, selon certains critères esthétiques, dans la laideur. Blessure, vulnérabilité et laideur sont ainsi tenues à distance des productions artistiques qui cherchent elles à valoriser le Beau.
Selon les époques, le beau s’oppose au laid, ou au plaisir. Parfois s’opère une distinction entre le beau et le sublime (qui ne cède pas au désir et surpasse la souffrance). Le beau ne s’inscrit pas dans la chair meurtrie. Dans l’art chrétien, stigmates et tortures sont avoués, représentés, mais moins sanglants qu’ils pourraient l’être. Pensons ici aux représentations de Sainte Agathe, la martyre aux seins arrachés, et dont les représentations picturales donnent rarement à voir sa poitrine meurtrie : soit elle est représentée au moment du supplice avec tout au plus quelques gouttes de sang, soit elle se couvre le torse d’un linge, soit elle est habillée, tenant ses seins sur un plateau. La blessure est tenue à distance. C’est une période où, lorsque la vulnérabilité ou la souffrance se trouvent au cœur d'une œuvre, elles ne sont pas là pour représenter le beau : elles sont là pour provoquer la crainte chez celui qui regarde, tout au mieux les trouve-t-on sublimes.
Plus tard, l’art moderne replace au centre tout ce qui avait été exclu comme « déchet », tout ce qui a été rejeté du reste de l’histoire pour rendre beau le laid et/ou le vulnérable. Il reprend le vulnérable délaissé perçu comme « déficitaire » pour en faire le centre de l’attention sans le sublimer. Aujourd'hui, une réhabilitation de toute une partie de ce qui était tombé dans le champ du laid et du déficitaire est opéré dans l’art pour le revaloriser et transformer l’approche qui en a été donnée.
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