La Chaire de Philosophie à l’Hôpital s’intéresse aux possibilités thérapeutiques de l’art. Dans son antenne au sein de l'Hôpital de Panzi du Dr Denis Mukwege en République Démocratique du Congo, la Chaire entend notamment étudier le rôle que peut jouer l’art-thérapie dans l’accompagnement des femmes survivantes de violences de genre et sexuelles. En préparation de ce programme de recherche et d'expérimentation « Humanités, arts et résilience dans la reconstruction des femmes victimes de violences sexuelles en RDC », la Chaire a publié en juin 2022 une première étude sur le sujet. Dans cette note intitulée “Arts, soin et résilience”, Nancy Mentelin, docteure en philosophie, psychanalyste, chercheuse associée au Centre de Recherches sur le Travail et le Développement du CNAM, élabore une large revue panoramique des connaissances récentes sur les connexions nouvelles entre l’art et le soin à des fins de résilience.

Art-thérapie et stress post-traumatique : quels usages, pour quels effets ?

L’art-thérapie est reconnue de façon croissante comme une modalité de soin psychique et holistique à même de répondre aux difficultés rencontrées en thérapie cognitive – difficulté à verbaliser l’expérience émotionnelle, évitement, etc. –, tout en se révélant un medium de nature à renforcer l’alliance thérapeutique et les conditions de la thérapie (cadre sécurisant, accès à différents aspects de soi). De ce fait, l’art-thérapie s’avère également particulièrement précieuse dans la prise en charge et l’accompagnement du stress post-traumatique, la dimension paisible des activités autant que le recours aux symboles et métaphores favorisant un accès indirect à la vie émotive de la personne. Une fois le trauma exprimé, l’art constitue par ailleurs un vecteur propice à la reconstruction narrative de la personne, respectueux du temps psychique du sujet et favorisant la reconstruction du rapport à autrui et au monde.

Tous les arts sont mobilisés et mobilisables en art-thérapie. Leur dimension thérapeutique permet un passage subtile du care (soin) à la cure en travaillant sur la résilience et l’expressivité des patient.e.s. Littérature et écriture, danse, théâtre et cinéma, musique, chant et arts plastiques ont tous une potentialité thérapeutique avec des concepts analytiques prouvés cliniquement opérants. Ces considérations forgent le concept d’une thérapeutique culturelle dans laquelle les arts soignent, par exemple :

Les arts plastiques. C’est probablement la forme d’art-thérapie la plus connue, avec des concepts analytiques prouvés cliniquement opérants, comme celui de « narrativité imageante ». Les arts plastiques sont une prise sur le réel qui peut prendre diverses formes et permettent de narrer l’ineffable et d’amorcer la reconstruction de soi.

La musique. La recension de plusieurs projets de thérapie par la musique - chant, chorale - montre une « médecine musicale » qui permet de réguler son quotidien sur une activité, de gérer son anxiété et de réguler le sommeil (Bertelsen & Lund, 2021). En Suède et au Danemark, le projet Art on Prescription a ainsi consisté à prescrire sur ordonnance, entre autres, des activités musicales pour les personnes en arrêt maladie. Sa dimension personnelle ou collective s’adapte aux besoins de chacun. Alternative rendant l’indicible dicible, elle permet de communiquer ses souffrances et assure alors une fonction médiatrice essentielle en société.

Aujourd’hui, mémoires traumatiques, voire hypertraumatiques, forcent à la mobilisation des arts dans le milieu du soin, tant pour les patient.e.s que pour les soignant.e.s. C’est notamment ce que souligne l’OMS dans son rapport de 2019, en insistant sur l’importance des evidence-based humanities et des arts in health (trad. « humanités fondées sur la preuve » et les « arts dans la santé »). L’art-thérapie permet à la clinique du trauma de remettre la personne au centre de son propre rétablissement. L’art devient alors un dispositif de résilience. De nouvelles modalités d’évaluations de ces evidenced-based humanities tentent donc d’émerger pour favoriser leur place au sein d’un univers hospitalo-artistique.

Aussi, en cette rentrée, Isabelle Audigé – gynécologue formée à la psychosociologie et nouvelle chargée de mission de la Chaire de Philosophie à l’Hôpital – est récemment arrivée en RDC pour conduire une enquête ethnographique dans le cadre de notre dispositif de recherche au sein de l'hôpital de Panzi. Elle avait déjà mené en 2021 une pré-enquête ethnographique durant 2 semaines au sein du Bureau pour le volontariat au Service de l’enfance et de la Santé dans le Sud Kivu à Bukavu.

Isabelle Audigé mène actuellement des observations et va réaliser des entretiens, auprès de patientes comme de soignants, sur leur vécu du rôle des arts dans le soin. De nombreuses initiatives, informelles, d’art-thérapie sont en effet menées dans l’Hôpital du Dr Denis Mukwege (danse, théâtre, chant). Celles-ci gagneraient à être évaluées et protocolisées à des fins d’amélioration et de reproductibilité.

L'équipe de la Chaire de Philosophie à l'Hôpital