La narration, comprise comme mise en récit des vécus de chacun et chacune, sous forme orale ou écrite, s’avère indispensable pour donner du sens à notre vie et construire notre identité. Elle peut apparaître à cet égard comme thérapeutique. Notre vie ne peut en effet se contenter d’être décrite de façon fragmentaire ou éclatée, au risque d’engager une fracture identitaire ou de négliger des aspects pourtant importants pour nous lorsque nous nous ouvrons aux autres. Par exemple, comment parler de soi sans tout révéler, au risque de s’exposer, mais sans en dire trop peu, au risque de maintenir une distance infranchissable pour l’autre ? Car le récit de notre vie sert aussi à nous lier, à entremêler notre histoire avec celle des autres.
Or, dès le début du XXe siècle, différents auteurs, comme Walter Benjamin, Sigmund Freud, Jean-François Lyotard ou Giorgio Agamben, décrivent une perte du récit et du partage de l’expérience dans les sociétés contemporaines. Entre la perte des récits liés au travail (les récits d’agriculteurs, de marins, etc.) et la perte des conteurs, le récit est de plus en plus remplacé par l’information attestable et vérifiable, par opposition au récit mouvant, interprétable et dans lequel chaque conteur apporte son empreinte au fil de formulations nouvelles. Les temps de récit sont soit de plus en plus factuels - évinçant ainsi la question des ressentis et des vécus -, soit de plus en plus courts et ne donnant plus à voir que des moments “instantanés” de nos vies, sans tableau d’ensemble. Cette perte du partage de l’expérience par le récit individuel ou collectif peut provoquer un sentiment de solitude et alimenter une certaine souffrance.
En santé, les éthiques narratives et la médecine narrative, apparues dans les années 1970-1980 à la suite des travaux de Paul Ricoeur puis de Rita Charon, défendent l’importance de la mise en récit de soi (orale comme écrite) pour les patients et les professionnels de santé. Elles soulignent ainsi une triple fonction du récit :
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