Cette séance est animée par Frédéric Baitinger.

Description du cours
Si les normes sont bien, comme le suggère Lauren Berlant dans son livre Cruel Optimisme, des scénarios imaginaires nous faisant miroiter des formes de bonheur prêt-à-porter à l’endroit même où ceux-ci nous enferment dans leur prison de verre, comment devons-nous penser les différents types d’attachements affectifs qui nous fixent à eux, et qui nous empêchent de pouvoir nous en séparer ? Voilà le type de questions que se posent, au sein des études queer, les penseurs relationnels qui, à la suite d’Eve Sedgwick, se sont lancés dans l’exploration critique des états affectifs qui nous empêchent de nous émanciper de ces scénarios imaginaires. Or, si Lacan répond à ces questions par sa théorie de la fin d’analyse comme traversée du fantasme d’abord, puis comme ”savoir y faire” avec ce que contient de potentiellement morbide un mode jouissance, de quelle manière les penseurs queers relationnels entendent-ils s’y prendre pour libérer leurs lecteurs des mauvais affects qui les emprisonnent ? Comment pourrions-nous à la fois nous détacher des attachements affectifs qui nous unissent aux scénarios de bonheur dans lequel nous avons appris à désirer, sans que ce détachement ne nous conduise vers une forme de jouissance mortifère ? Et plus encore, comment est-ce que des populations ayant été historiquement discriminées, voire traumatisées pourraient se défaire de l’attachement inconscient, et donc aussi des effets négatifs qui lui sont attachés, sans que ce détachement ne vire à la rage, ni au désir de vengeance, mais bien vers une forme nouvelle d’utopies concrètes, autrement dit vers de nouvelles formes de relationalités queer ?
Telles sont les question auxquelles José-Esteban Munoz s’est efforcé de répondre dans son livre Cruiser l’utopie, en forgeant pour ce faire une nouvelles compréhension du terme queer ; compréhension qui, comme le souligne Mari Ruti, n’est pas sans rappeler celle que Lacan donne du désire (170). Car pour Munoz comme pour Lacan ce qu’il s’agit de penser n’est pas tant une politique de la pulsion de mort, qu’une forme de retour dans le présent d’objets portant les traces de la Chose, autrement dit les traces d’une jouissance que nos fantasmes nous empêchent d’atteindre, mais qui pourraient pourtant illuminer l’avenir d’un aura queer, si tenté que nous ayons enfin le courage de ne plus les laisser dans les recoins obscurs de nos inconscients, ou dans les poubelles de la culture.
Bibliographie
Berlant, Lauren. Cruel Optimism. Durham, Duke University Press, 2011.
Bloch, Ernst. Le principe Espérance. Tome 1. Paris, Editions Gallimard, 1976.
Gregg, Melissa & Gregory J. Seigworth. The Affect Reader. Durham, Duke University Press, 2010.
Munoz, José-Esteban. Cruiser l’utopie, l’après et l’ailleurs de l’advenir queer. Paris, Editions Brook, 2021.
Sedgwick-Kosofsky, Eve. Touching Feeling. Affect, Pedagogy, Performativity. Durham, Duke University Press, 2003.