Séance 2 : David S. Marriott, Lacan Noir
Intervenant : Frédéric Baitinger
Présentation de la séance
Depuis sa création par W.E.B du Bois à la fin du XIXè siècle, le champ des études noires est traversé, voire divisé, par deux courants théoriques aux tonalités bien différentes. D’un côté, il y a le camp des optimistes qui croient aux promesses de la démocratie occidentale et qui considèrent que l’ensemble des discriminations dont souffrent les noirs pourraient faire l’objet d’une réparation progressive. Et, de l’autre, il y a le camp des pessimistes, c’est-à-dire le camps des penseurs et des activistes qui considèrent que le type d’oppression qu’ont subi, et que continuent de subir les populations noires, ne saurait être compris, analysé et réparé dans le cadre de politiques progressistes et libérales. Position pessimiste qui elle-même, historiquement, s’est toujours divisée en deux, avec d’un côté la position de ceux qui pensent que seule une politique nationaliste et séparatiste pourrait être à la hauteur d’un tel diagnostic critique — position qu’on défendu pendant un temps une partie des Black Panthers, par exemple ; et la position de ceux qui pensent qu’un tel constat implique de mettre en oeuvre, au contraire, une nouvelle forme de militantisme politique que je serai tenté d’appelé “un militantisme de la castration et du manque”, c’est-à-dire une politique qui milite pour une meilleur prise en compte, au sein de la politique, des logiques fantasmatiques qui la fonde.
Prenant acte de cette division, il s’agira donc de comprendre, dans cette deuxième séance, si ce qui fonde la position Afro-pessimiste relève, comme le soutient Norman Ajari dans Noirceur, Race, genre, classe et pessimisme dans la pensée africaine-américaine au XXIè siècle, d’une aspiration nationale et séparatiste noire dont les tenants de l’afro-pessimisme d’aujourd’hui retrouveraient enfin la radicalité ; ou bien si leur pessimisme ne relèverait pas plutôt d’une compréhension nouvelle de l’idée même de noirceur, de sa négativité ontologique, et de la fonction psychique que joue cette négativité au regard du reste de l’humanité, et donc aussi d’un nouvel abord de la politique, fondé sur une meilleur prise en compte de la castration ?
Pour répondre à cette question, je proposerai une lecture croisée de trois de ses plus grands théoriciens de l’Afro-pessimisme :
Dans une première partie, je m’interrogerai, à partir du livre de Calvin Warren, Ontological Terror, sur la manière dont la noirceur vient creuser un véritable abysse ontologique à l’intérieur même de l’infrastructure métaphysique de l’occident.
Puis, dans une deuxième partie, je vous présenterai les principaux concepts développés par Franck B. Wilderson III dans ses livres Red White & Black, Cinema ad the Structure of U.S. Antagonism et Afropessimism, pour donner à la noirceur une “nouvelle langue abstraite” capable de décrire la grammaire de la souffrance noire que qui en constitue le substrat politique.
Et enfin, dans une troisième partie, plus longue que les deux autres, je vous proposerai une lecture de Lacan Noir, Lacan and Afro-pessimism de David S. Marriott ; ce qui me permettra de vous expliquer de quelle manière l’afro-pessimisme interpelle la psychanalyse à partir du concept de noirceur, pour montrer en quoi il en constitue comme l’impensé fondamental.
Présentation du livre
Ce livre explore l’influence de Jacques Lacan sur les Black Studies des années 1950 à aujourd’hui, et inversement, la manière dont un cadre théorique issu des Black Studies remet en question les topographies du lacanisme dans sa compréhension de la race. David Marriott examine comment une perspective contemporaine des Black Studies pourrait répondre à la psychanalyse de la race en s’appuyant sur la revitalisation récente du lacanisme dans sa forme spéculative et métaphysique. Alors que le côté philosophique du débat plaide pour un nouvel universalisme, cet ouvrage propose une réévaluation lacanienne de la notion de race, distincte de la culture, de la langue, de la religion et de l’identité.
Il soutient qu’il est possible de rétablir la relation théorique entre capitalisme, antinégritude et colonialisme en repensant les liens entre la psychanalyse lacanienne et trois domaines principaux de l’enquête noire : la maîtrise, le savoir et l’incarnation. Ce livre offre une relecture remarquablement originale de la place de Lacan à la fois dans les études sur Fanon et dans l’afro-pessimisme. Il s’adresse aux étudiants et chercheurs en Black Studies, en études culturelles, en théorie critique et en philosophie.
Biographie
David Marriott, né en 1963, est un philosophe et poète britannique, actuellement titulaire de la chaire Charles T. Winship en philosophie à l’université Emory. Il est reconnu pour ses travaux en littérature comparée, psychanalyse, théorie culturelle noire et philosophies de la race. Marriott a obtenu son doctorat à l’université du Sussex. Avant de rejoindre l’université Emory, il a enseigné à l’université de Californie à Santa Cruz. Ses recherches portent sur la théorie critique, la philosophie continentale, la psychanalyse et la littérature afro-américaine. Parmi ses publications académiques notables figurent :
- Of Effacement: Blackness and Non-Being (Stanford University Press, 2023)
- Lacan Noir: Lacan in Black Studies (Palgrave Lacan Series, 2020)
- Whither Fanon?: Studies in the Blackness of Being (Stanford University Press, 2018)
- Haunted Life: Visual Culture and Black Modernity (Rutgers University Press, 2007)
- On Black Men (Edinburgh University Press et Columbia University Press, 2000)
- Letters from the Black Ark (Omnidawn, 2023)
- Before Whiteness (City Lights, 2022)
- Incognegro (Salt Publications, 2006)
Date
- 26 Fév 2025
Heure
- 19:00 - 21:00
Lieu
Hôpital Sainte Anne - Amphithéâtre Morel
- 1, rue Cabanis 75014 Paris