Présentation de la séance :

Pour la troisième séance de la quatrième année du séminaire « Décoloniser l’inconscient : Noirceur et Opacité », nous aurons le plaisir d’accueillir le philosophe et psychanalyste Jacques Nassif. Il viendra présenter deux de ses ouvrages récents : Pour Bataille, ainsi que Le Retour de Penthésilée, qui prolonge et amplifie les perspectives ouvertes par le premier. Ces travaux proposent une relecture de la psychanalyse lacanienne à partir de l’œuvre de Georges Bataille, dans ce qu’elle a de plus transgressive, hétérogène et politiquement dérangeante. Nassif y met en lumière ce que l’on pourrait nommer une alliance objective – voire un pacte tacite – entre psychanalyse et philosophie, dès lors qu’elles s’affranchissent de toute visée hégélienne ou dialectique. C’est cette connivence singulière qu’il s’agira d’explorer : à savoir comment Bataille, bien avant Lacan, mobilise la pensée freudienne pour analyser les structures psychiques du fascisme, en convoquant les puissances de la noirceur – celle d’un inconscient mélancolique, hanté par l’éviction du sujet et par la fascination du pouvoir. C’est à travers les notions de non-savoir, de représentation mythique, d’impossible et d’hétérogène que s’exprime cette critique précoce et radicale d’un rationalisme qui, en excluant l’opacité du désir, prépare le terrain aux autoritarismes modernes. Mais au-delà du geste critique, ce que Jacques Nassif met en jeu, c’est la portée subversive d’un savoir d’analysant : celui d’un écrivain qui affronte l’indécence du sexe, dénonce la pudibonderie des avant-gardes surréalistes, et réhabilite la figure de Sade en l’articulant à la découverte freudienne de la pulsion. Il montrera ainsi comment cette trajectoire singulière permet de rouvrir les enjeux de la jouissance, de l’expérience intérieure et de la souveraineté, mais aussi de comprendre les formes d’opacité qui traversent l’acte analytique lui-même : opacité d’un savoir qui ne se totalise pas, qui se transmet sans se posséder, et qui s’opère dans la mise à distance de toute instance maîtresse ou transcendante. Ce travail invite à repenser, avec Bataille et Lacan, ce qui résiste à l’univocité du sens, et à reconnaître dans chaque formulation du désir la tension irréductible entre l’excrétion qu’elle opère et la réappropriation qu’elle appelle. À travers cette lecture croisée, c’est une véritable « passe » qu’il s’agira de faire : une traversée de l’inconscient qui ne vise ni la maîtrise, ni la réconciliation, mais l’accueil d’une altérité radicale, dans ce qu’elle a de plus opaque, de plus troublant, et peut-être aussi de plus libérateur.

Nous espérons vous y voir nombreux pour une discussion qui s’annonce aussi rigoureuse que dérangeante.

Présentation du livre :

Beaucoup de surprises attendent le lecteur de ce livre. D’abord celle de l’existence d’une alliance objective entre les deux géants du siècle passé, ayant pu aller jusqu’au pacte tacite, mais constamment renouvelé entre la psychanalyse et la philosophie, anti-hegélienne, bien sûr. Ensuite, celle de la connaissance approfondie des textes de Freud, dès les années 20-30, que pouvait avoir Bataille, et bien avant que Lacan ne s’en empreigne, si l’on veut bien prendre enfin en compte ses écrits du tome II de ses oeuvres Complètes, publiés seulement en 1970. Mais surtout, il devient évident que ce savoir qui est à légitimer, car il est celui d’un analysant, a permis à un écrivain portant ce nom de mener un triple combat : celui, évidemment contre la pusillanimité des plumes surréalistes et toutes les positions qu’il qualifie d’icariennes au regard de l’indécence du sexe ; donc, par là même, l’ouverture d’un autre front : celui d’une réhabilitation de Sade, qui sera présenté dans ces pages comme l’ancêtre le plus direct de Freud, celui-ci offrant enfin à sa « valeur d’usage » une « valeur d’échange » ; enfin la prise en compte effective, non seulement des dangers, mais de la réelle fascination que peut exercer le fascisme sur l’esprit rendu mélancolique par tous les progrès d’une science qui évacue la dimension du sujet, le privant de toute attache à sa terre et son histoire. Après la mort du Roi et la mort de Dieu, l’oeuvre relue de Bataille offre ainsi l’occasion de devoir surtout se convaincre de la mort de l’Un. Il importera de bannir l’univocité du sens et d’affirmer la prise en compte, chaque fois que s’énonce un désir, de la contradiction qu’il abrite en son sein entre l’excrétion qu’il permet et la réappropriation qu’il réclame.

Biographie :

Jacques Nassif est un psychanalyste, écrivain et traducteur français. Il a étudié au Lycée Louis-le-Grand, suivi des classes préparatoires littéraires (hypokhâgne et khâgne), puis à l’École normale supérieure. Il a obtenu un doctorat en philosophie sous la direction de Jacques Derrida et Louis Althusser. En 1970, il est devenu psychanalyste. Nassif a été membre de l’École freudienne de Paris et a contribué à la rédaction des séminaires de Jacques Lacan. Il a également participé à diverses initiatives visant à regrouper des associations psychanalytiques, telles que l’Inter-Associatif de Psychanalyse, et Convergencia, mouvement lacanien pour la psychanalyse freudienne, fondé à Barcelone en 1999. En 1983, il a cofondé l’association Les Cartels Constituants de l’Analyse Freudienne et, en 1995, a rejoint l’association barcelonaise Invenció Psicoanalítica, où il a également pratiqué la psychanalyse en castillan)

Bibliographie :

Nassif, Jacques. Freud, l’inconscient: Sur les commencements de la psychanalyse. Flammarion, 1977.

Nassif, Jacques. Le bon mariage. L’appareil de la psychanalyse. Éditions Érès, 1992.

Nassif, Jacques. Un troisième temps pour la psychanalyse. Liber, 2006.

Nassif, Jacques. Comment devient-on psychanalyste ? Éditions Érès, 2012.

Nassif, Jacques. Pour Bataille. Éditions des Crépuscules, 2019.

Nassif, Jacques. Le Retour de Penthésilée : À la Recherche du Féminin perdu. Éditions des Crépuscules, 2022.

Nassif, Jacques. Le Cheval de Troie. Éditions des Crépuscules, 2024