Séance du cycle “La santé mentale : regards de philosophes” coordonné par Eva Liévain.
Avec Alexandra Michalewski. Répondant : Jean-Jacques Alrivie.
Le 3 novembre 2022 à l’Hôpital Sainte Anne, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.
Plotin, philosophe platonicien de la fin du IIIe siècle ap. J-C qui est le fondateur de ce que l’on appelle le « néoplatonisme », se situe à l’aboutissement de la philosophie grecque de l’époque classique dont il récapitule l’héritage. Opposant l’intériorité de la raison, qui peut surmonter les passions de l’âme, à l’extériorité des accidents du monde, Plotin reprend et prolonge l’héritage stoïcien en le menant jusqu’aux limites extrêmes du rationalisme : pour lui, la santé de l’âme relève toujours d’une disposition intérieure et tout ce qui relève du dérèglement psychique, des passions à la folie, est le fait d’une cause accidentelle et extérieure.
Pour accéder à la santé de l’âme, il faut d’abord selon Plotin, comprendre que l’âme humaine possède différents niveaux d’attachement, depuis le monde sensible, auquel elle est liée par le corps qu’elle anime, jusqu’à l’intellect dont elle n’est jamais séparée même si elle n’en a pas toujours conscience. En restant fixée sur les préoccupations du monde extérieur, l’âme humaine vit d’une vie commune à tous les vivants, qui court des animaux aux plantes et jusqu’au corps de la terre elle-même. Une part importante de l’affectivité humaine est liée à ce niveau d’exercice de l’activité de l’âme ; certaines analyses de Plotin, par certains côtés, rejoignent celles que Boris Cyrulnik, dans L’Ensorcellement du monde, a consacré à la construction du développement affectif par le lien d’interdépendance des âmes. Mais la perspective de Plotin est différente puisqu’il fait le pari que la santé de l’âme passe par un détachement progressif de nos attachements émotifs, qu’il rattache à l’enfance. Le passage à l’âge adulte est pensé sur le modèle d’un apprentissage de l’âme à regarder comme d’en haut ses émotions et par là, la philosophie de Plotin propose même un dépassement du stoïcisme : en se rattachant de manière primordiale à sa dimension intellectuelle, l’âme peut non seulement surmonter ses passions et atteindre le bonheur véritable, mais aussi rester immune face au péril de la mélancolie – à laquelle Plotin attribue une origine purement physiologique et corporelle comme le montre un épisode de sa biographie – et même de la folie.
Chercheuse au CNRS et chargée de cours à Sorbonne Université, Alexandra Michalewski est une ancienne élève de l’ENS-ULM, agrégée de philosophie. Elle est spécialiste du platonisme antique et plus particulièrement de Plotin auquel elle a consacré une monographie et de nombreux articles, étudiant son épistémologie et sa doctrine éthique (théorie des passions, rôle pratique de la philosophie, analyse de la place des femmes au sein du néoplatonisme).