Année 2021/2022Grands textesGrands Textes

Dans cette thèse en histoire de la médecine, Eva Yampolsky a étudié comment, dès la naissance de la psychiatrie moderne en France au tournant du XIXe siècle, le suicide devient un véritable objet médical. Cette étude concerne les théories médicales sur le suicide au XIXe siècle, et plus précisément de la dépénalisation de cet acte en 1791 jusqu’à la fin du Second Empire. Dès sa dépénalisation émerge un postulat selon lequel tout suicide constitue un acte de folie. Il ne s’agit donc plus de prouver une coïncidence entre le suicide et la folie, comme on le constate avant 1791, mais de faire de tout suicide un acte de folie. Son objectif a été d’étudier comment, selon quels critères, motifs, arguments et influences, la médecine mentale parvient à inscrire cet acte dans le cadre médical. Bien que la position médicale sur la pathologie du suicide se transforme au cours du XIXe siècle, cet acte continue à dépendre d’abord et avant tout de l’expertise médicale. À partir de là, Eva Yampolsky montre que les positions médicales et psychiatriques sur la pathologie du suicide sont déterminées autant par des développements médicaux (tout particulièrement en médecine mentale, en médecine légale et en hygiène publique), que par des influences sociales (morales et religieuses, politiques, économiques et médiatiques). 

Cette recherche se base essentiellement sur une analyse de textes médicaux publiés et manuscrits (articles de revues spécialisées, dictionnaires de médecine, traités, mémoires pour des prix, thèses de médecine). Cette analyse permet de comprendre comment le suicide comme objet médical se construit au moment même où la psychiatrie se constitue en branche médicale à part entière. Dès lors que le suicide s’érige en objet médical, la médecine mentale reconsidère tout un ensemble de questions. S’agit-il d’une maladie, d’un symptôme, d’un acte libre ? Comment les aliénistes articulent-ils les causes physiques et psychiques aux causes sociales et morales ? Quel rôle la morale et la religion jouent-elles dans la théorisation médicale du suicide, et comment sont-elles intégrées dans la conception médicale et hygiéniste de cet acte ? Pour comprendre comment le suicide se transforme d’un crime à une psychopathologie chronique et une maladie sociale, Eva Yampolsky aborde également les contributions déterminantes de l’hygiène publique et de la médecine légale. Elle analyse enfin les différentes mesures préventives et thérapeutiques qui ont été élaborées au cours du XIXe siècle. 

Eva Yampolsky, responsable de recherche à l’Institut des humanités en médecine (IHM, CHUV/Université de Lausanne), est docteure en littérature française (Emory University, USA, 2011) et docteure en histoire de la psychiatrie (Université de Lausanne, Suisse, 2019). Sa recherche actuelle en histoire de la médecine, à l’IHM, porte sur le mouvement des Convulsionnaires de Saint-Médard au début du 18e siècle en France et sur les liens entre médecine et religion dans les miracles de guérison. Dès août 2022, elle poursuivra ses recherches dans le cadre d’un projet de recherche en histoire de la médecine à l’Université de Genève, intitulé: “Observer la folie. Les possessions démoniaques au 17e siècle, entre médecine et religion”. Elle a publié de nombreux articles en histoire de la psychiatrie, un livre sur l’œuvre de Guy de Maupassant (Peter Lang, 2017), et elle va publier prochainement sa seconde thèse de doctorat, qui porte sur l’histoire du suicide comme objet médical au 19e siècle en France (BHMS, Lausanne, à paraître). De plus, elle co-dirige la collection Asclepios aux Éditions Jérôme Millon (Grenoble), qui publie des éditions critiques d’ouvrages classiques sur les liens entre médecine et religion.