Bien que la notion de « santé mentale » soit récente, la recherche d’un équilibre de l’âme a inauguré les premiers gestes discursifs de ceux qu’on s’est mis à nommer alors des « philosophes » ; la tranquillité de l’âme était à la fois leur quête initiale et la finalité de leur science. Thalès, Pythagore, s’ils cherchaient à connaître la nature, c’était en vue de mieux connaître la leur — l’ordre de la nature était ce modèle à suivre pour mettre de l’ordre dans la vie, la cosmologie servait l’éthique.
Si Socrate a opéré une révolution, c’est qu’il a voulu rompre avec cet ordre physicien : le ciel n’est plus pour lui objet d’étude. S’il faut connaître l’homme, mais aussi forger une éthique, alors c’est à l’âme seule qu’il faut s’attacher. Telle est la rupture socratique à l’endroit de l’homme.
Cette recherche, reprise par Platon, va devenir le cœur de sa philosophie tout entière : comment former les âmes pour qu’elles soient équilibrées ? Comment faire pour qu’elles le restent ? Que faire si elles ne le sont pas ? Par quels moyens théoriques et pratiques éviter la mania, la démesure, le dérèglement, la démence, mais aussi ces maladies de l’âme que sont l’ignorance et le vice ? Quelle politique mener pour que la cité renferme le moins de malades possible ? Platon a une conscience aiguë de la complexité de l’âme humaine, de la fragilité de son équilibre, de la finesse de cet art qu’est l’éducation, et sa théorie politique sera donc une thérapeutique de l’âme.
Mais alors que l’on pense ici parfois trop exclusivement, comme voie royale, à la marche vers les Idées, à la formation de l’âme par elle-même, on néglige l’importance que Platon a pu donner, dans l’éducation même de l’âme, au corps, lequel n’est pas seulement — suivant la caricature qu’on en fait — obstacle à la vertu, mais aussi moyen sur lequel s’appuyer. Il importe alors, pour bien comprendre la pensée de Platon jusqu’au bout, c’est-à-dire aussi jusqu’à ses derniers textes, de compléter la lecture du Charmide par celles du Timée et des Lois, qui mettent en relief l’importance de bien configurer le corps pour pouvoir disposer l’âme à s’équilibrer — ce qui montre que Platon s’est montré conscient des limites du pouvoir de l’âme à se donner forme elle-même par elle-même. Notre but sera de saisir la psychopathologie platonicienne, les moyens de corriger les déséquilibres, comme de les prévenir.
Enseignante de philosophie au lycée, Eva LIEVAIN est certifiée-bi-admissible à l’agrégation de philosophie, titulaire d’un Master 2 à Paris-I-Panthéon-Sorbonne (sous la direction de Monique DIXSAUT et Luc BRISSON, « Le Corps chez Platon », 2002), et d’une licence de Lettres modernes (Paris-X-Nanterre), a fait un I.U.T de Biologie (Paris XII-Créteil).
Elle a co-écrit un livre sur Le Corps, Paris, GF-Flammarion, collection Corpus (2002) ; est intervenue sur « La Grande Santé chez Nietzsche », au sein du colloque « Littératures et Médecine », organisé par le Docteur Gérard DANOU, à l’Université de Cergy-Pontoise (26-27 avril 2007). Membre de l’Ecole française de Daseinsanalyse, elle a contribué en janvier 2022 à la Revue Herméneutique, par une recension du livre de Philippe Cabestan, Tomber malade, devenir fou (2021).
Professeur de philosophie, Jean-Jacques ALRIVIE, agrégé, a enseigné à Lille, puis à Paris (Lycée Janson de Sailly) dans les classes secondaires et préparatoires aux Grandes Ecoles. Il a publié différents articles dans la Revue de métaphysique et de morale, dans les Cahiers philosophiques, dans le Cercle Herméneutique (où, notamment, il a dirigé un numéro spécial intitulé L’homme intérieur et son discours, dans la revue Philosophie. Ses publications sont centrées sur la poésie, notamment la poésie tragique, et la philosophie grecque depuis Homère jusqu’à Aristote. Il est membre de l’école française de Daseinsanalyse.
Professeur des universités à l’Université Paris-Nanterre, agrégé et Docteur en philosophie, Olivier RENAUT est spécialiste de Platon et d’Aristote. Ses recherches portent plus spécifiquement sur les aspects de la psychologie morale chez ces deux auteurs, en particulier les émotions. Il a dirigé plusieurs volumes collectifs et a publié en son nom propre Platon : La médiation des émotions, Paris, Vrin, 2014, et plus récemment La Rhétorique des passions. Aristote, Rh.II.1-11, Paris, Classiques-Garnier, 2022.