avec Bertrand Nouailles
En philosophie de la médecine, une triple voie a été beaucoup explorée : celle de la relation éthique entre les soignants et les soignées, dès lors que cette relation est fondamentalement une relation asymétrique qui peut induire des relations de pouvoir ; celle du vécu du malade, où est interrogée l’expérience du corps malade ; celle de l’épistémologie médicale, où sont mis au jour les procédures rationnelles de prise de décision, les modalités de la connaissance médicale ainsi que l’agir médical. Il semble y avoir toutefois un angle mort : celui du corps soignant. Soigner, c’est avoir affaire à un corps malade, mais c’est aussi mettre en jeu un corps, ou des corps. Or cette dimension corporelle de l’acte de soigner est, à ma connaissance, peu explorée. Après avoir défini ce que j’entends ici par corps soignant – l’expression est polysémique – je voudrais m’interroger sur son statut en posant quelques questions fort simples : qu’est-ce qu’un corps soignant ? quel usage en avons-nous pour qu’il puisse être un corps qui soigne un autre corps ? Qu’est-ce qu’un geste en médecine ? Les conditions de possibilité de l’acte de soin ne sont pas seulement du côté d’un savoir, ni même d’une pratique, mais aussi du côté d’un soubassement corporel : un corps qui en soigne un autre. Je voudrais tester la fécondité d’une hypothèse nietzschéenne : celle d’un corps qui ne peut soigner que parce qu’il est un corps interprétant.