En 1924 Marcel Mauss, alors président de la Société de psychologie, prononce une conférence “Effets physiques chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité (Australie, Nouvelle-Zélande)”. Il y soumet aux psychologues des cas tirés de la littérature médicale sur les sociétés coloniales, pour faire avancer la coopération interdisciplinaire entre médecine et sociologie sur le complexe biopsychosocial (ou “l’homme total”). Mauss critique sévèrement l’usage par les médecins des modèles animaux pour analyser le rapport entre sociétés humaines et individus physiologiques. Les médecins le jugèrent trop sociologue, Ignace Meyerson l’incita à abandonner la sociologie pour l’histoire. C’est en sciences sociales qu’il put fonder une anthropologie de la corporéité sociale et une histoire sociale de la notion de personne. Reprendre ce texte aujourd’hui permet d’avancer de nouvelles hypothèses sur les contextes historiques d’apparition de certains troubles psychiques, en termes de régulation sociale (socialisation morale) et en termes d’intégration structurelle (développement des infrastructures de communication).
Florence Weber est professeur de sociologie et d’anthropologie sociale à l’Ecole normale supérieure. Praticienne, théoricienne et historienne de l’ethnographie, elle travaille aujourd’hui sur les conditions d’une interdisciplinarité où la confrontation entre des sciences dont les objets impliquent des épistémologies ou des méthodologies différentes débouche sur des outils conceptuels et pratiques efficaces. Elle a notamment publié “Le Travail à-côté. Une ethnographie des perceptions” (Editions de l’EHESS, 2009) et “Brève histoire de l’anthropologie” (Flammarion, 2015). Elle a dirigé aux PUF une édition critique des œuvres de Marcel Mauss en 9 volumes et dirige la collection “Sciences sociales” aux Editions Rue d’Ulm.