[vc_row equal_height=”yes”][vc_column width=”1/6″][/vc_column][vc_column width=”2/3″][vc_column_text]Contextualisation historique :
Un âge d’or de la philanthropie juive au XIXème siècle ?
Pour qui arpente en 2018 certaines grandes villes, de Paris à Hong Kong, de New York à Jérusalem, de Londres à Bombay – pour n’en citer que quelques-unes – et s’intéresse à l’histoire des lieux, à celle que renferment des bâtiments prestigieux, résidences particulières, hôpitaux, bibliothèques, lieux culturels, les noms de grands philanthropes juifs se dévoilent peu à peu, philanthropes qui furent bien souvent à l’initiative de vastes et nombreux projets.
La philanthropie a ceci de particulier qu’elle affirme un engagement moral et financier, mais que l’engagement financier, condition sine qua non de l’action philanthropique, n’a de sens qu’en se fondant sur un socle de valeurs humanistes.
Si l’histoire semble retenir un âge d’or de la philanthropie juive à la fin du XIXème siècle, marqué par l’essor fulgurant de familles telles que les Rothschild, les Pereire, les Camondo, les Reinach en France, les Montefiore et les Sassoon au Royaume-Uni, les Kadoorie, dans l’enclave britannique que fut Hong-Kong, familles dont la fortune n’était souvent que peu ancienne, cette tradition, qui remonte plus loin dans le temps, perdure aujourd’hui, de manière peut-être plus discrète, ou moins visible par rapport à la place grandissante qu’a pris l’Etat tout au long du XXème siècle dans le soutien aux oeuvres sociales et à la création artistique – jusqu’à mettre en place un vrai système de solidarité et de protection sociale et une vraie politique culturelle. Et, comme ce fut le cas à son apogée, cette tradition s’oriente vers l’intérieur comme vers l’extérieur de la communauté.
Conséquence indirecte des Lumières
Le développement de la philanthropie juive, que l’on pourrait relier à une certaine propension juive à aller sur les différents terrains de l’engagement – politique, culturel, philosophique… ne peut être analysé comme un phénomène né au XIXème siècle. En Occident, les retombées de la Révolution française, elle-même fruit de la pensée des Lumières, facilitent l’émancipation des Juifs, et leur permet d’occuper des positions sociales qui jusque-là leur étaient difficilement accessibles. En devenant philanthropes, les juifs qui ont réussi socialement cherchent enfin la reconnaissance que de longs siècles de stigmatisation les ont empêché d’obtenir.
Le XIXème siècle, siècle du renversement des ordres jusque-là établis, siècle des révolutions industrielles et de l’essor de la bourgeoisie, siècle où les Juifs accèdent massivement, à travers le monde, enfin, à une forme de reconnaissance sociale, constitue un tournant.
Qui sont, non pas au cas par cas, mais qui sont ces juifs, quelles sont ces familles juives qui s’engagent aussi activement dans l’action philanthropique. Qui sont les Rotschild, qui sont les Camondo, qui sont les Reinach, qui est Théodore Reinach, qui est Salomon Reinach, qui est Joseph Reinach, qui est Albert Kahn, qui sont les Sassoon ? Et que font-ils pour le bien commun ? Des travaux déjà bien avancés leur ont été consacrés, il importera d’essayer de percevoir ce qui dans des parcours distincts, des origines sociales et géographiques différentes, des degrés de religiosité fort différents, les unit, au point de les rassembler aujourd’hui dans ce panthéon de grands juifs philanthropes issus d’une même époque.
Les exemples de cette action philanthropique avant les Lumières
Si, donc, la philanthropie juive ne naît pas au XIXème siècle : elle s’inscrit dans un système de valeurs, une tradition d’assistance à son prochain, une tradition d’entraide, une tradition où, dans des communautés juives de tailles réduites, les communautés vivaient en partie grâce à l’aide des plus fortunés d’entre leurs membres.
L’étendue géographique de cette action philanthropique
La tradition de la philanthropie juive européenne a été évoquée jusque-là, bien qu’aient été évoquées des contrées bien éloignées de l’Europe, mais dont l’identité fut en partie européenne.
D’autres traditions semblent émerger : une tradition philanthropique juive américaine, fortement inspirée de la précédente, mais cependant profondément calée sur un modèle philanthropique américain au sens large, indépendamment de sa dimension juive, c’est-à-dire dans un contexte où les institutions d’assistance publique sont moins développées qu’en Europe.
Il existe également une tradition philanthropique juive centrée sur la communauté uniquement, sur le sionisme dans la première moitié du XXème siècle, puis sur l’Etat d’Israël depuis sa création.
L’avènement de la Shoah a-t-il été ou non un tournant dans ce qui motive la bienfaisance chez les philanthropes juifs ? Il importera de distinguer la philanthropie intra-communautaire de l’acte de don et de générosité motivé par un réflexe identitaire.
Soutien dirigé vers sa communauté ou en dehors, et impact, donc, de l’avènement de la Shoah, l’existence du sionisme puis de l’Etat d’Israël à cet égard.
Si nombreux furent les philanthropes juifs européens à soutenir financièrement l’établissement d’un foyer juif en Palestine, puis dans ses premières années l’Etat nouvellement créé : une question se pose sur l’évolution de cette oeuvre philanthropique au fil des évolutions vécues par l’Etat et la société israéliens, aussi bien de la part des citoyens israéliens que des juifs de diaspora.
Concepts à définir :
La pensée juive, source de ces oeuvres de bienfaisance ?
Et, si la philanthropie ne naît pas au XIXème siècle, et si elle frappe aussi fortement les juifs qui connaissent l’ascension sociale, force est de s’interroger sur ce qui dans les préceptes religieux, dans l’histoire juive, dans le message du judaïsme en somme, favorise la générosité désintéressée, et le souci du bien public.
Y a-t-il une spécificité juive du rapport de l’homme qui s’est enrichi ou jouit d’une certaine aisance, y a-t-il une responsabilité de celle ou celui à qui la fortune sourit, de s’obliger à regarder le monde tel qu’il est et de tenter de le réparer.
N’y a –t-il pas, surtout, une volonté de montrer l’exemple, fidèle à la notion de « or lagoyim », lumière pour le reste des nations, employée par le prophète Isaïe.
La notion de Tzedakah, intrinsèque à celle de Tikkun Olam, a pour but de rendre le monde plus juste. Comment s’articulent discours et gestes universalistes, et comment les discours peuvent-ils nourrir les gestes.
L’identité du philanthrope : universaliste et/ou héritier de son propre système de valeurs ?
Car en tout premier lieu, se pose la question de l’identité et d’abord l’identité par laquelle se définit le philanthrope : agit-il en tant que juif, en tant qu’humaniste, en tant qu’universaliste, en tant qu’héritier d’une tradition ? Se peut-il qu’il ne soit que philanthrope, au sens où cet état constituerait une identité sui generis, forte de ses propres valeurs, et non sous l’influence d’autres systèmes de valeurs. Et se peut-il que la façon dont il se voit, ou dont il souhaite que la société le voie, influence le philanthrope dans son action.
Comment la société environnante voit-elle le philanthrope, et le voit-elle de la même façon selon qu’elle est l’objet de la bienfaisance, ou son partenaire (financiers, promoteurs, autorités publiques, et institutions diverses).
Comment, enfin, l’histoire retient l’action du philanthrope, et comment associe-t-elle cette action à son identité première, à son parcours de vie, à son héritage familial, et à son habitus religieux ?
La complexité d’une définition de l’identité juive :
La question de l’identité est complexe, car aucune analyse historique, même basée sur un grand nombre de témoignages objectifs, ne saurait transcrire exactement la complexité de l’identité d’un être, et de son identité juive en particulier. Si l’identité juive est souvent profondément ancrée dans l’identité globale des êtres qui naissent avec, au point qu’elle en est souvent constitutive, rien ne peut décrire la complexité avec laquelle elle s’exprime, se vit, et se transpose dans la vie quotidienne.
Cela pour plusieurs raisons : le rapport du juif à son identité juive est souvent sujet à évolutions, évolutions du fait de déplacements géographiques, d’évolutions du statut au sein de la société, d’évolutions du fait des aléas de sa propre vie, d’évolutions liées à l’avancée dans le temps, et aux progressions ou régressions sociales qui l’accompagnent.
Dès lors, face à l’intensité fluctuante de l’identité juive, selon l’âge de celui qui la vit, selon les époques, les contrées et l’environnement social, une chose semble plus constante, la capacité du juif à le rester ardemment dans le regard de l’autre.
Regard sur soi-même et regards venus de l’extérieur se nourrissent, s’apprivoisent, et complexifient ce rapport à l’identité, dans la mesure où celui qui existe, existe au travers de ces deux prismes, et de la façon dont ils se conjuguent.
Il pourra être intéressant d’étudier la façon dont se décline la philanthropie juive, selon l’appartenance ou la proximité avec l’un ou l’autre des courants religieux du judaïsme.
Définition de la philanthropie :
Une définition de la philanthropie s’impose. Avec elle, s’impose une définition de tout ce qui, de près ou de loin, s’en rapproche, la bienfaisance, les oeuvres sociales, la générosité, l’attention portée à autrui, et les cas particulier du mécénat.
Ce que laissent poindre la Torah et le Talmud sur ces sujets :
Une attention particulière à tout ce qui dans le judaïsme, dans ses textes fondamentaux, aussi bien que dans son histoire, pousse à la générosité, est également nécessaire : elle nous permettra de décortiquer des notions telles que celles mentionnées plus haut, de Tikkun Olam et de Tsedakkah, d’appréhender notamment l’injonction « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Mise en confrontation de la notion de charité :
Il y aura un intérêt certain à confronter les notions issues des textes et commentaires juifs à celle, chrétienne, de charité, afin de voir ce qui distinguerait la philanthropie juive de la philanthropie catholique ou protestante.
Judaïsme et universalisme :
L’on verra qu’au-delà des encouragements que chacun peut interpréter ou non dans tel ou tel texte, la philanthropie est surtout en phase avec une pensée universaliste.
Dès lors, une question se pose : l’universalisme, à la fois vecteur de la philanthropie et visé par la philanthropie, peut-il être nuancé par une culture, peut-il en souffrir ses apports.
Et si oui, quel est au fond le lien entre judaïsme et universalisme ?
Etude des textes et courants philosophiques :
Mais c’est bien dans la pensée philosophique que des pistes de réponses à nos questions se présentent.
Les notions de de bientraitance, d’éthique, de care, de souci de l’autre, et de responsabilité pour autrui, rejoignent d’une façon ou d’une autre les concepts de philanthropie et de bienfaisance. Ils ont, chacun, été développé par un ou plusieurs auteurs, dans d’amples écrits, que l’on cite ici de manière non exhaustive.
Ces concepts tentent d’apporter une solution qui permette d’atténuer la vulnérabilité des plus faibles.
N’y a-t-il pas chez Aristote, un idéal de la vie heureuse qui passe par l’accomplissement de soi, et cet accomplissement de soi n’est-il pas encouragé par les oeuvres philanthropiques ?
N’y a-t-il pas dans la maxime kantienne, une injonction à n’agir qu’en ayant à l’esprit que l’action de tout homme impacte autrui, et que de l’action de l’homme donc, dépend le bien-être de l’humanité entière ?
N’y a-t-il pas, dans sa définition de l’éthique, chez Ricoeur : « la visée d’une vie bonne avec et pour les autres dans des institutions justes » une définition qui pourrait être celle de la bienfaisance ?
Lévinas, en développant la notion de responsabilité, « de tous et de tout, et moi plus que les autres », ou autrui est pensé comme radicalement autre et irréductible. La notion de devoir de responsabilité chez un auteur dont la pensée se rapproche indiscutablement d’une forme de pensée juive doit nous questionner, et nous questionner davantage après l’avènement des crimes de la Shoah.
Peter Singer développe l’idée d’un altruisme efficace et défend ainsi l’idée d’une philanthropie utilitariste.
La notion de care, dont le développement est plus contemporain, avec des auteurs comme Nussbaum, Tronto, Gilligan, nous invite à repenser justice, et en cela à réparer un monde vulnérable qui a besoin de soins.
Dimension sociologique de la philanthropie :
Enfin, la philanthropie devra être analysée au prisme de l’évolution sociale : quel outil de reconnaissance sociale constitue-t-elle pour celui qui accède à la richesse, voire à un certain degré d’introduction dans les élites, et en quoi la philanthropie légitime-t-elle cet accès. Quel outil de reconnaissance sociale est-elle pour celui dont la fortune est assise depuis plusieurs générations, et comment entretient-il la dorure du blason familial en associant son argent à la notion de bienfaisance.
A l’heure contemporaine, plusieurs modèles existent : un modèle plutôt américain, où l’acte de générosité qui n’intervient souvent qu’une fois atteinte l’ambition première affirmée d’amasser de l’argent ; dans un pays – les Etats-Unis – où ni l’Etat providence, ni un Etat au service de la politique culturelle ne sont la norme.
Un modèle plus européen, où la philanthropie est souvent plus discrète, par un effet conjugué du choix des familles qui la mettent en oeuvre et de la présence de politiques publiques qui la rendent moins indispensable pour les nécessiteux.
Si les dons occasionnels permettent à une partie de la communauté juive de diaspora d’exprimer son soutien à l’Etat d’Israël, à ses citoyens les plus démunis, une philanthropie israélienne émerge, quelles sont des champs d’action ? Et la sympathie pour un courant politique influe-t-elle sur cette propension à mener une oeuvre philanthropique. Se pose aussi la question suivante : la philanthropie n’intéresse-t-elle que les minorités, en tant qu’outil de reconnaissance sociale, ou peut-elle garder sa dimension juive dans un pays où les juifs sont majoritaires.
Sociologie juive de la philanthropie :
Il s’agira de voir ensuite, comment ils ont, sinon montré l’exemple, du moins ouvert la voie, ou ouvert une voie naturelle, celle qui consiste pour les juifs à s’engager. Et comment, une tradition qu’ils ont largement développée, s’est perpétuée jusqu’à nos jours, sous diverses formes, dans une dialectique entre juifs de diaspora et juifs israéliens, juifs proches ou moins proches d’une communauté, juifs issus de communautés libérales ou plus orthodoxes.
Comment, en somme, la philanthropie juive et son évolution nous parle rapport des juifs au monde, de l’évolution de ce rapport au monde, et des facteurs d’une telle évolution, au sein de laquelle peuvent apparaître des divergences.
Avenir de la philanthropie : vers une rôle politique ou public ?
De là découle d’ailleurs la question de l’avenir de la philanthropie en Europe, à l’heure où les restrictions budgétaires annoncent petit à petit un léger désengagement de l’Etat de ce qui était son pré carré, l’action sociale et le développement culturel.
En somme :
Ainsi donc, c’est un sujet aux dimensions multiples, dont toutes se nourrissent entre elles, qui nous intéresse ici.
Il impose dans un premier temps une étude de ce qu’est la philanthropie, de ce qui la distingue des oeuvres caritatives et sociales, aussi bien dans les motivations de celui qui s’engage dedans que dans les résultats qu’elle produit. Cela à nous amènera à nous interroger sur ce qui fait la philanthropie, est-ce le simple don d’argent, est-ce au contraire la mission qu’on assigne à cette somme d’argent, elle-même définie par une vision du monde.
Il importera d’étudier fondements philosophiques et historiques de la philanthropie.
Une fois ceci établi, il faudra fouiller et chercher ce qui, dans le judaïsme, dans la liturgie, comme dans les commentaires, dans l’histoire comme dans les récits qui en ont été faits, a pu forger un sens de l’altruisme et de la philanthropie.
Le lien qu’il y a entre les courants de pensée qui prônent la bienfaisance et la pensée juive sera analysé.
Problématique possible :
En quoi la pensée juive développe-t-elle un message universaliste, qui renferme une théorie de la responsabilité et de la justice, qui non seulement inspire et encourage l’action philanthropique et bienfaisante chez ceux qui se réclament de ses valeurs, mais en quoi indirectement donc, aide-t-elle à réparer le monde, par les oeuvres qu’elle inspire ?
Références bibliographiques :
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- Levinas, E., Le temps etl’autre
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- Prévost-Marcilhacy, P., Les Rothschild : une dynastie de mécènes en France
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- Seni, N., Les inventeurs de la philanthropie juive
- Singer P., Questions d’éthique pratique
- Szajkowski Z., Poverty and Social Welfare among French Jews(1800-1880)
- Stein, H., «Jewish Social Work in the United States, 1654-1954»
- Tronto, Joan C., Un monde vulnérable, pour une politique du care
- Tronto, Joan C. Moral Boundaries : A Political Argument for an Ethic of Care
- Winock, M., La France et les juifs de 1789 à nos jours
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