Cours du 22 novembre 2016 / Cynthia Fleury
État de l’art de la psychiatrie actuelle
Dans l’histoire de la psychiatrie, on peut observer comme deux tendances contradictoires relevant, dans le fond, d’une part de la déshumanisation des personnes soignées en institution psychiatrique, et d’autre part, en réponse, tenant de leur humanisation. Ainsi, la reconnaissance des améliorations historiques dont ont fait l’objet la psychiatrie et le traitement des malades ne peuvent se suppléer à l’examen de ce qui les entache encore malgré tout. De cette manière, on trouve dans le rapport Robiliard pour le Sénat en 2013, ou dans le rapport d’activité pour 2016 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la désignation de problèmes divers concernant la psychiatrie : prise en charge, financement des structures, recours disproportionné à la contention et à l’isolement thérapeutique, « banalisation de la mise à l’isolement dans les hôpitaux psychiatriques »…
C’est face à des constats du même ordre qu’était né un mouvement, à une époque où la psychiatrie tenait encore beaucoup de l’aliénisme, dans les années 1960. Il s’agit de la psychiatrie de secteur, notamment incarnée par L. Bonnafé, G. Daumezon ou F. Tosquelles, née des fracas provoqués par le cortège de désolations de la guerre. La sectorisation est une réflexion organisationnelle et thérapeutique visant non seulement à soigner la folie, mais à le faire par le biais et dans la finalité d’une réinsertion sociale. La notion de secteur est à voir comme contrepoint de l’hospitalocentrisme du « modèle médical » classique, et induit non seulement un changement du lieu de soin grâce à hôpitaux éloignés du cœur des villes, mais aussi du territoire de soin : la relation médecin-patient.
En effet, les patients ne sont pas réductibles à leurs symptômes, ils ont malgré ce dont ils souffrent des compétences psychiques et sociales qui leur permettent d’être les acteurs de la situation soignante. La fonction élémentaire du soin qu’organise le médecin est alors de transmettre au patient un désir de sauvegarde de lui-même, de le rendre capacitaire, car l’objectif est précisément d’éviter que la psychiatrie soit « une prothèse affective et sociale ». On parle aussi dans ce cadre de psychiatrie transférentielle, car elle sous-entend une reconnaissance réciproque du soignant et du patient, transgressant ce qui, à la base, les définit et de factoles sépare.
Si les statuts de soignant et de patient ne sont pas abolis à l’instar de l’antipsychiatrie, des activités communes en adoucissent les frontières. De plus, les soignants se réunissent régulièrement pour évoquer leur rôle et leurs suggestions afin d’éviter un enlisement organisationnel. Tous ont en commun une habileté à créer un lien substantiel propice au soin. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, malgré une volonté de briser les murs et de permettre le vagabondage, le soin ne se déroule pas au cœur de la cité car cette dernière n’offre pas de place pour les personnes en proie à la folie. Cette approche remettant en question les tutelles et dogmes établis rejoint celle des artistes surréalistes qui sont venus à Saint-Alban pour échanger, s’inspirer et construire le soin.
On peut retenir en fin de compte que le but poursuivi est de permettre, grâce à un cadre souple, que la hiérarchie subjectale, celle donnée par le patient, se substitue à la hiérarchie statutaire, celle donnée par la fonction. Ainsi peuvent émerger des communications corporelles et verbales propices à déboucher sur une auto-qualification du sujet. La relation humaine est ici considérée comme la première dimension du soin, et non pas comme marginale, un supplément d’âme.
Pierre Dubilly
Etudiant en Magistère de relations internationales
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Références bibliographiques :
Jovelet, Georges. « Les conditions de la psychiatrie publique », L’information psychiatrique, vol. volume 87, no. 10, 2011, pp. 769-779.
Sassolas, Marcel. « Pour quelle psychiatrie militer ? », Sud/Nord, vol. 25, no. 1, 2010, pp. 139-149.
Gallio, Giovanna et Maurizio Constantino. « L’école de la liberté », interview de François Tosquelles, août 1987.
Tosquelles, François. « Une politique de la folie », dans Chimères, Revue des schizo-analyses, Autres terrains, autres politiques, numéro 13, Gourdon, 1991