Année 2016/2017CoursIntroduction à la Philosophie à l’hôpital 2

Cours du 24 janvier 2017 / Cynthia Fleury

Goffman. Les usages sociaux des handicaps

Pour Erving Goffman, il est question de stigmate à partir du moment où il y a une situation dans laquelle un individu est disqualifié et de ce fait empêché d’être pleinement accepté par la société. Le propre de cette disqualification est qu’elle n’est pas ontologique, c’est-à-dire inhérente à l’individu et liée à une incapacité réelle, mais assignée par la société en vertu d’un handicap quel qu’il soit – physique, mental, social – et prenant une portée bien plus grande que la réalité de ce dernier.

L’origine de cette pratique est à chercher dans les mythes grecs où le stigmate correspond à une marque corporelle. Ces signes, cicatrices en tout genre, marquent, exposent les criminels, les esclaves, les prostituées ; et adoptent la dimension relationnelle du stigmate par leur signification repoussante : la personne qui dialoguerait avec un stigmatisé provoquerait l’incompréhension de ses pairs et risquerait d’être frappée de la même indignité.

Handicap, tares du caractère (manque de volonté, passions irrépressibles…) ou appartenance à un peuple désigné ; tous ces facteurs peuvent composer un stigmate visible. D’autres ne sont pas percevables en première instance mais, quoi qu’il en soit, tous façonnent la nature des interactions sociales de celui qui en est affublé, directement par les relations biaisées qu’ils engendrent, ou bien viales techniques évanescentes qu’ils amènent l’individu à employer afin de masquer la réalité de sa condition, afin de ne pas passer de stigmatisable à stigmatisé.

D’après Goffman, le stigmate occupe une fonction de contrôle social et constitue un mode de compétition. Il « réduit efficacement et durablement les chances d’une personne » en justifiant ce qui n’est au départ qu’une position de principe : l’infériorité d’autrui. L’idéologie du stigmate sert ainsi à rationnaliser une animosité souvent fondée sur d’autres différences qui ne peuvent être assumées comme telles : portant sur la classe, la religion, l’origine réelle ou supposée… Les réactions en refus de cet enclavement seront même avancées comme étant des expressions de la déficience désignée, ou comme relevant de la victimisation – les deux cas venant justifier le traitement infligé.

Il reste malgré tout possible de s’en extraire, par exemple par le biais de la chirurgie le cas échéant, ou en infirmant tous les présages et conquérant le statut de champion malgré le stigmate, ou encore en tirant des capacités particulières sur le principe de la résilience. D’autre part, il existe un stigmate inversé, la célébrité : toujours un décalage par rapport à la réalité, mais de signe opposé.

Analysant les discours psychiatriques ayant une portée judiciaire, Foucault pointe du doigt la différence entre la médiocrité de bon nombre d’entre eux et la portée immense qu’ils peuvent avoir : la liberté ou la privation de celle-ci. Foucault dénonce ainsi « l’indignité du pouvoir » qui est parfaitement effectif quelle que soit la qualité de son détenteur – ce qui, dit-il, n’est pas du tout fortuit mais participe de la démonstration de son implacabilité. D’autre part, Foucault nous explique quelles sont les trois figures fondatrices de l’anormal (et donc à la base du stigmate) : le monstre, l’incorrigible et le masturbateur. Elles déconstruisent respectivement le beau, l’autorité, et le rapport au corps, d’où le fait, selon Foucault, qu’elles sont condamnées à des fins de contrôle social, faisant le lien avec l’usage du stigmate comme étant un mode de justification d’une dominationa posteriori.

Pierre Dubilly
Etudiant en Magistère de relations internationales
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Références bibliographiques :
Goffman, Erving. Stigmate, les usages sociaux des handicaps. Les éditions de Minuit, 1975.
Foucault, Michel. Les anormaux. Seuil, 1975