Si vous désirez en savoir plus sur les séminaires ou la consultation citoyenne, vous pouvez contacter Pauline Elie, aux adresses suivantes : paulinevetoiselie@protonmail.com / pauline.vetois.elie@gmail.com.
La Consultation médicale endormie (CME) : qu’est-ce que c’est ?
La Consultation médicale endormie (CME) est un nouveau dispositif de santé élaboré au sein du département d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Lariboisière (AP-HP, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) par l’équipe du Pr. Fabrice Vallée. À partir des données de santé du patient collectées durant l’anesthésie, la CME permet d’établir des prédictions de risques de déclarer certaines pathologies neuro-cognitives (comme Alzheimer) ou cardiovasculaires (comme l’infarctus du myocarde). À la sortie de son opération, chaque patient bénéficie alors d’un dépistage de santé à l’appui des données traitées durant les soins normaux d’anesthésie par des algorithmes dits d’« intelligence artificielle » (IA). S’il était généralisé, ce dispositif prédictif d’une maladie du cerveau ou du cœur concernerait environ douze millions d’anesthésies par an, en France.
Prometteuse pour la médecine prédictive et la prévention des risques en santé publique, la CME soulève toutefois de nombreuses interrogations, en particulier éthiques. Pour réfléchir et encadrer son utilisation, un cycle de cinq séminaires de recherche sur l’éthique des données de santé pour la médecine prédictive, notamment en anesthésie-réanimation, a été mené. Ce cycle de séminaires a été organisé à l’hôpital Lariboisière conjointement par l’équipe du Pr. Fabrice Vallée et la Chaire de philosophie à l’hôpital, en partenariat avec la Chaire IA et Données massives en santé de l’Inria, CentraleSupélec et l’AP-HP. Une consultation citoyenne locale a également été réalisée par l’équipe du Pr. Fabrice Vallée, de mi-octobre 2022 au 1er février 2023 : cette consultation soumettait pour opinion ces évolutions en matière de santé aux résidents et usagers des services publics des arrondissements de Paris, limitrophes de l’hôpital Lariboisière.
Le séminaire de recherche « Consultation médicale endormie : enjeux éthiques »
Au sein de l’équipe de la Consultationmédicale endormie, ce séminaire a été coordonné et animé par Pauline Elie, doctorante en philosophie et en droit (EHESS), conseillère éthique sur les données de santé (Fondation AP-HP, Lariboisière), aidée du Dr. Cyril Touchard (AP-HP, Lariboisière).
En cinq séances, le cycle proposait d’alimenter la réflexion sur les mutations contemporaines de l’anesthésie-réanimation relatives aux données massives et à la médecine prédictive, notamment à travers ses enjeux éthiques. De fait, prédire, est-ce prévenir ? La prédiction est plus incertaine qu’un pronostic, qui plus est un diagnostic. Par exemple, pour des affections ne pouvant pas être guéries, mais seulement accompagnées, telle la maladie d’Alzheimer, quelles sont les conséquences de cette prédiction algorithmique pour la personne ? De plus, la mise à disposition pour des acteurs privés des données liées à la santé au sein de plateformes publiques centralisées (telles que le Health Data Hub ou l’Espace Européen des Données de Santé) en vue de l’innovation en santé publique fait courir le risque de l’effacement du secret médical, d’atteintes à la vie privée, etc. Comment conjuguer ces risques avec l’actuel développement de la médecine prédictive ?
Les questionnements socio-anthropologiques et éthiques que ces évolutions soulèvent ont ainsi bénéficié pendant ce séminaire du regard croisé de plusieurs chercheurs – en sociologie, anthropologie, philosophie, psychologie, ingénierie, droit et médecine.
Une consultation citoyenne menée sur le sujet
Pour obtenir un aperçu de la réception politique et sociale d’un tel dispositif, une consultation citoyenne locale sur les données de santé et la médecine prédictive a été conduite parallèlement au séminaire de mi-octobre 2022 au 1er février 2023. Menée par Pauline Elie, elle a bénéficié en particulier de l’implication du Pr. Fabrice Vallée, du Dr. Cyril Touchard, du Dr. Léonard Corti et des infirmières anesthésistes Claire Bocquet et Praecilia Gheysens. Ouverte aux citoyennes et citoyens des 10e et 18e arrondissements de Paris, elle s’attachait à recueillir leurs avis sur les évolutions en matière de gestion des données de santé : elle se présentait sous la forme d’un questionnaire aux questions fermées (requises pour que le questionnaire soit considéré complet), et aux questions ouvertes (optionnelles).
À l’issue de cette consultation, l’équipe du Pr. Vallée s’était engagée à la publication d’une synthèse anonyme des résultats (en juin 2023), à la publication d’articles scientifiques à partir de ces résultats (en cours en 2025) et d’un livre blanc sur l’éthique de la médecine prédictive et des données de santé (à venir pour 2026). L’équipe s’est en outre engagée à organiser une journée dédiée à l’éthique du numérique en santé à l’hôpital Lariboisière (en prévision).
La synthèse des résultats a permis de confirmer certaines des hypothèses de départ ; toutefois, l’échantillon n’est pas représentatif de la population parisienne visée, ce qui implique que les résultats de cette synthèse ne peuvent être généralisés.
Cette synthèse montre néanmoins que les personnes questionnées témoignent d’un intérêt pour le sort de leurs données de santé et les technologies telles que l’IA qu’elles alimentent. Or, de nombreux changements relatifs à la gestion des données personnelles s’effectuent dans l’ignorance du plus grand nombre (absence de consentement à l’usage de l’IA en santé, créations de l’espace numérique de santé, du Health Data Hub, de son hébergement par Microsoft, etc.). Les personnes interrogées souhaiteraient en majorité que le personnel soignant demande leur consentement à l’utilisation de l’IA pour leur santé, ce qui constitue un signal déterminant pour l’encadrement de la CME plus spécifiquement.
Un faible niveau de confiance émerge aussi quant à la gestion des données de santé. D’une part, la réutilisation à des fins commerciales par les entreprises gérant ces données est une première explication. D’autre part, en ce qui concerne la puissance publique (État, ministère, etc.), le manque de sécurité de l’encadrement desdites données est avancé par les répondantes et répondants.
La mise en perspective avec l’intérêt général semble également un aspect à questionner pour éviter certaines dérives mercantiles et déterministes liées aux développements de la médecine prédictive par les pouvoirs publics.
À l’appui d’études complémentaires, les tendances mises en exergue par cette consultation conduiront à la publication d’articles scientifiques, empiriques et théoriques, ainsi que d’un livre blanc portant sur l’éthique des données pour la médecine prédictive. Ce livre blanc, reprenant des éléments de la synthèse des résultats, sera présenté lors de le tenue d’une journée dédiée à l’éthique du numérique, en médecine, au département d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Lariboisière.
Vous pouvez consulter ci-après la présentation de la consultation citoyenne ainsi que la synthèse de ses résultats :
Pour aller plus loin
- Pauline Elie (août-septembre 2023), « Vers une consultation médicale endormie ? Les enjeux éthiques de la médecine prédictive », Gestions hospitalières, n°628, p. 409-413
- Pauline Elie (23 novembre 2023), « L’encadrement éthique d’une technique de médecine prédictive en anesthésie : l’exemple de la « Consultation Médicale Endormie » », Les coulisses de l’activité opératoire. Regards croisés sur les transformations contemporaines de la chirurgie [colloque], Paris, Hôpital Cochin
- Pauline Elie (2024), « Médecine prédictive et effet nocebo : l’encadrement éthique d’un dispositif en anesthésie, la « consultation médicale endormie » », In Olivia Chevalier et al. (dir.), Les coulisses de l’activité opératoire, Paris, Presses des Mines, p. 245-256
- Pierre Derrouch (octobre 2021), « Un projet de consultation médicale « endormi-e » à Lariboisière », DSIH, n°34, p. 78-79
- Pierre Derrouch (mars 2022), « Entretien avec Pauline Elie. De l’usage raisonné de nos données personnelles de santé », DSIH, n°35, p. 14-15