Que l’on réfléchisse en termes de troubles envahissants du développement (TED) ou troubles du spectre de l’autisme (TSA), le syndrome d’Asperger est un bouleversement neuro-développemental complexe qui dure toute la vie, apparaissant avant l’âge de 3 ans et dans toutes les sphères du développement de l’enfant.
Il se traduit par des troubles de la communication, des interactions sociales et une répétitivité des comportements qui traduisent à la fois un déficit et une tentative d’ajustement dans la relation au relief sensoriel. C’est en effet dans la relation avec l’environnement que se situe la difficulté ; ce qui peut découler, d’un extrême à l’autre, de la présence survoltée à l’absence interrogatrice d’une sensibilité, d’une attention, ou d’une compétence. Vont également parfois de pair un déficit mental ou moteur, des troubles de la nutrition ou du sommeil.
Les individus présentant le syndrome d’Asperger n’ont pas de retard mental, voire l’inverse, et maîtrisent le langage à l’exception de sa dimension interprétative – une littéralité qui entraîne des difficultés dans les interactions sociales, par exemple dans la compréhension des métaphores, ou de de jeux de mots.
La précocité du diagnostic représente un enjeu considérable afin de pouvoir mettre en place des approches éducatives, comportementales, sensorielles (jeux de rôle, exercices d’adhésivité ou de proprioception, hug box) visant à éviter la mise de côté. Pour les aspies, qui ont donc l’usage de la parole, s’ouvre la possibilité supplémentaire de l’approche psychanalytique qui fait surgir le sujet, ne le réduit pas à la génétique, et peut le conduire à prendre la décision subjective nécessaire à l’intégration dans le monde environnemental.
De la question de l’autisme et du syndrome d’Asperger surgissent de vrais enjeux pour toute la société. D’abord via les familles dont la vie se retrouve bouleversée, mais aussi car certaines des logiques et questionnements qu’on y trouve ont des analogies dans d’autres sujets : le 4e âge, l’acceptation du diagnostic, les rapports de filiation difficiles, et l’intérêt de favoriser l’émergence de patients experts qui peuvent au mieux concilier savoir et préservation de l’ordre social spontané.
Enfin, s’intéresser aux « personnes avec autisme » permet de remettre en question de puissants modèles d’acquisition des connaissances comme le structuralisme génétique, via la démonstration de capacités exceptionnelles très précoces qui parfois disparaissent ensuite. De plus, leur immense souci du détail et leur inclination à la synesthésie indiquent par contraste là où les personnes considérées comme normales manquent peut-être d’attention et de sensibilité. Et, bien sûr, il ne s’agit pas de renverser une échelle mais plutôt, peut-être, de la mettre à l’horizontal en envisageant le principe de neuro-diversité selon lequel neuro-atypiques et neuro-typiques, autistes et non autistes, peuvent travailler à la complémentarité de leurs approches sur de nombreux sujets.
Camille Cornu, Habiletés sociales, Flammarion, 2018.