Nous partirons de la notion de construction telle qu’élaborée par Sigmund Freud dès l’aube de la psychanalyse et jusqu’à ses derniers écrits, construction qu’il n’aura eu de cesse de nouer à sa pratique clinique et à sa compréhension des tentatives de guérison opérées par ses patients. A sa suite, nous tenterons donc de parler de construction de guérison. Avec Jacques Lacan, nous comprendrons que ces constructions s’enroulent autour d’un passé qui ne passe pas, mais insiste au contraire obstinément. C’est justement cette force coercitive qui nous permettra de reconnaître dans une construction un noyau irréductible qui, résistant aux variations contingentes, fait retour – et fait donc histoire. Des maux aux mots, le régime d’historicité de la construction de guérison est celui du langage. Avec Alice Cherki, nous comprendrons le langage comme un lieu d’hébergement sans lequel le corps est soumis à l’éphémère du corps-à-corps, voire à la violence d’un réel du corps qui fait effraction sans médiation. Et avec Jacques Derrida, nous comprendrons par ailleurs le langage comme un registre d’inscription qui rend l’existence du corps irréductible à la contingence de sa factualité. Nous proposerons alors que si le corps survit, si le corps vit plus qu’entre sa naissance et sa mort, c’est par la grâce de son inscription au sein d’un registre symbolique. Nous tirerons les conséquences de ces propositions pour penser l’accueil et le soin.
Dorothée Legrand est chercheur en philosophie (CNRS, Archives Husserl, Ecole Normale Supérieure, Paris Université Sciences et Lettres). Elle est aussi psychologue clinicienne et psychanalyste en libéral et pour l’association MigrENS (Association du Programme Etudiants Invités accueillant des étudiants exilés à l’ENS). Depuis 2014, elle anime le séminaire « Articulations philosophiques et psychanalytiques » à l’École Normale Supérieure de Paris. En 2019, elle a publié une monographie Ecrire l’absence – Au bord de la nuit chez Hermann.