Année 2017/2018Soin et Compassion 2

Paul AUDI est philosophe, il est auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages dont la plupart analysent les rapports entre l’éthique et l’esthétique. Il s’intéresse aux conditions permettant à l’être humain d’accéder à sa propre humanité. Il est auteur notamment de : Supériorité d’éthique (Flammarion), Où je suis. Topique du corps et de l’esprit (Encre Marine), Rousseau : une philosophie de l’âme (Verdier) et de Créer. Introduction à l’esthétique (Verdier).https://www.youtube.com/watch?v=BVnTJ8Cqi3YTout le problème de la compassion repose sur une très étrange logique du phénomène, c’est un phénomène qui brouille les catégories ordinaires : sujet – objet, soi – autre, jouissance – souffrance, tout ce qui est pris dans un réseau de dichotomie et d’opposition se trouve en quelque sorte bousculée et dissout dans la phénomène de la compassion. D’où la très grande difficulté de décrire comment cela advient et se manifeste.

Les traits distinctifs que la compassion dégage en font tout de suite toute autre chose qu’un sentiment passif. Ils en font au contraire un support d’action, d’où le statut éminemment moral que l’on lui accorde. Elle met l’être en mouvement, elle est une réaction qui fait agir, elle porte l’individu à venir en aide ou à porter secours à l’être souffrant. La compassion est cette capacité de prendre conscience de la souffrance d’autrui, de l’accueillir en soi, de ressentir avec lui, et de désirer la soulager. La compassion constitue ainsi le cœur de la motivation morale et donne l’impulsion première à l’action désintéressée pour les autres. Qu’est ce qui nous empêche, malgré cela, d’agir avec compassion, de penser un soin en commun ?

Nous sommes divisés par nos qualités distinctives, c’est là sûrement notre malheur, mais pour notre chance nous demeurons liés les uns aux autres par cette même vie souffrante que nous avons, de fait, tous reçue en partage. Nous sommes ainsi reliés par la grâce d’une religion dont l’universalité fonde à elle seule la vérité. Pour plagier Baudelaire qui disait : « Dieu est le seul être qui, pour régner, n’ait même pas besoin d’exister », nous pourrions dire en l’occurrence : la compassion est la seule religion qui, pour régner, n’ait même pas besoin de la foi des croyants. Car elle cueille ses fidèles avant toute réflexion et, comme toute religion, elle leur tient le langage des origines. Seulement ces origines ne sont ni historiques ni même mythiques – ces origines sont transcendantales. La compassion ne repose pas sur des présuppositions, des concepts, des religions, des dogmes, des mythes, l’éducation et la culture. Elle est au contraire originaire et immédiate, elle est inhérente à la nature humaine et demeure donc valide dans toutes les circonstances, elle se manifeste dans tous les pays et à toutes les époques. C’est pourquoi on peut assurément faire appel à elle en tout lieu, en tant qu’elle est nécessairement présente en chaque homme.

Bibliographie : Audi Paul, « D’une compassion l’autre », Revue du MAUSS, 2008/2 (n° 32), p. 185-202.DOI:10.3917/rdm.032.0185. https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2008-2.htm-page-185.htm