Comment la littérature, et plus particulièrement la fiction romanesque, réfléchit-elle, au sens de reflet comme de réflexion, ce que les psychiatres appellent maladie mentale et ce que le texte littéraire désigne le plus souvent comme folie ? Il s’agira d’esquisser quelques pistes de réflexion permettant de répondre à ce questionnement, à partir d’un corpus de romans français publiés au cours du xxe siècle.
Il importe tout d’abord de dégager les linéaments de la folie à partir du miroir à multiples facettes tendu par le roman afin d’en proposer une définition à l’aune du dictionnaire interne des œuvres littéraires. Baliser le champ thématique de la folie, c’est non seulement en identifier les manifestations afin d’en brosser le tableau clinique, mais aussi discerner son positionnement par rapport à l’expérience commune, notamment au regard de certaines notions – raison, normalité, intégration, sagesse, sensibilité – qui en ont longtemps formé l’envers. Nous examinerons ainsi la manière dont les romans reflètent tout autant qu’ils modèlent un ensemble de paradigmes s’imposant au cours du siècle, au gré des avancées et des bouleversements épistémologiques, philosophiques ou encore sociologiques.
La singularité de l’expérience de la maladie mentale, située au croisement de discours hétérogènes souvent concurrents (testimonial, scientifique, littéraire), nous mènera, dans un second temps, à poser la question de la légitimité de la littérature à s’emparer de ce phénomène, ainsi que celle de sa capacité à nous en fournir une compréhension singulière. Il s’agira plus particulièrement d’éclaircir les stratégies complexes de circulation, tantôt coopératives, tantôt concurrentielles, entre discours médical et discours littéraire, de la naissance de l’aliénisme à l’évènement de la psychiatrie moderne. Certes, l’affirmation du modèle organiciste à partir du milieu du xixe siècle a pour conséquence l’autonomisation de la psychiatrie comme science médicale et l’éloignement progressif des discours littéraire et scientifique. Néanmoins, les romanciers ne désertent pas pour autant le terrain de la connaissance de la folie, même si ces interférences revêtent au xxe siècle de nouvelles formes et adoptent des modalités différentes. Quels liens peuvent exister entre littérature et médecine à une époque où la complexité et la technicité croissantes de la seconde creusent un fossé de plus en plus infranchissable entre les deux disciplines ? Quels sont les rapports entre théorie et mise en œuvre – dans tous les sens du terme – d’éléments de savoir sur la folie dans le roman ? En d’autres termes, comment le savoir théorique irrigue-t-il l’œuvre romanesque et comment celle-ci vient-elle en retour nourrir, déstabiliser, déplacer la théorie ?
Enfin, se posera la question de ce que peut la littérature dans le domaine de la l’appréhension, de la connaissance et du soin de la maladie mentale. Dans la perspective des domaines en plein essor de la médecine narrative et des humanités médicales, seront mis au jour quelques apports essentiels, complémentaires du savoir médical, que la littérature, à travers la lecture et l’étude de fictions littéraires, peut fournir aux soignants de la psyché – et plus largement à quiconque s’intéresse aux troubles psychiques