Cours du 8 novembre 2016 / Cynthia Fleury
Autour d’Alice Miller : Le drame de l’enfant doué. La vérité de l’enfance. La pédagogie noire
Le travail d’Alice Miller porte sur la question de la maltraitance infligée aux enfants, cette dernière allant bien au-delà de la conception habituelle que l’on peut en avoir. Cette extension est en quelque sorte double : temporelle car la maltraitance d’un enfant peut déterminer le comportement de ce dernier à l’âge adulte si elle n’est contrée, et spatiale car le champ de la maltraitance est immense. Ce dernier comporte ce qu’évidemment chacun condamne, l’ordre des violences physiques, sexuelles, morales ; mais aussi ce que l’on considère d’habitude comme relevant de l’éducation, ce qui tient pour Miller de la « pédagogie noire » et dont le leitmotiv pourrait-être « c’est pour ton bien ».
Selon Miller, l’objet de la pédagogie noire est de « mettre un terme à ce que les pédagogues appellent l’entêtement de l’enfant » (caprices, esprit frondeur, violence des sentiments), de « faire en sorte que l’enfant ne se souvienne jamais d’avoir eu une volonté » car, dans le fond, les parents veulent que leur enfant corresponde à l’image qu’ils se font du bien et inconsciemment « luttent pour obtenir sur leurs enfants le pouvoir qu’ils ont dû eux même abdiquer auprès de leurs propres parents ». Il s’agit ainsi de comportements et de discours répétés de génération en génération, qui ont pour conséquence d’atteindre l’incandescence de l’enfance où se joue l’expérimentation, l’apprentissage des sentiments.
De là, le thérapeute doit jouer le rôle de « témoin secourable » – en veillant à ne pas tomber dans la pédagogie noire à son tour – afin de permettre de « sortir de l’invisible prison qu’est l’enfance ». S’il y a eu des maltraitances, l’individu doit lever le voile des émotions refoulées dont il le premier verrou, les ressentir pour s’en détacher et ne pas qu’elles soient reportées sur soi ou les autres. C’est d’ailleurs dans le prolongement de cette idée que Miller explique la genèse des parangons de haine et de destruction, Hitler notamment : « tout tyran préfère voir tués et torturés des milliers et millions d’hommes et de femmes plutôt que de lever le refoulement des mauvais traitements et de l’humiliation de son enfance ».
D’autre part, Miller explique ce qu’est le drame de l’enfant doué. Ce dernier est celui dont le parent souffre d’insécurité sentimentale, qui peut le ressentir et qui essaye de le pallier en comblant le désir manquant. Le drame est justement que l’enfant se conforme, se construit selon un cadre imposé et non pas d’une manière propice à l’authenticité. Paradoxalement, c’est aussi ce type de vécu qui « rend apte au métier de psychothérapeute », grâce à cette vulnérabilité qui peut être sublimée en capacité grâce à un témoin secourable. Le manque de soin dans l’enfance rend apte à en procurer une fois le refoulé affronté.
Finalement, à une échelle plus large, la thèse de la pédagogie noire d’Alice Miller est extrêmement critique en ce qu’elle dénonce un art de gouverner par l’obéissance en vue d’exercer une domination au prix d’un refoulement délétère pour le sujet. L’enfant, en faisant de bon gré ce qui lui est ordonné, en renonçant à l’interdit et s’estimant satisfait des prescriptions qui lui sont faites, achèvera de considérer le pouvoir comme une entité mystifiante et sera à même de l’exercer comme récompense de sa soumission.
Pierre Dubilly
Etudiant en Magistère de relations internationales
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Références bibliographiques :
Miller, Alice. Le drame de l’enfant doué. PUF, 2013.
Miller, Alice. C’est pour ton bien. Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant. Flammarion, 2015.
Miller, Alice. Notre corps ne ment jamais. Flammarion, 2014.
Miller, Alice. Abattre le mur du silence. Pour rejoindre l’enfant qui attend. Flammarion, 1991