En 1958-59, Bateson, Jackson et Watzlawick instituent le Mental Research Institute (MRI) ; ils ont pour ambition de mettre en place une psychothérapie laissant de côté les méthodes classiques. La singularité de l’école de Palo Alto peut se saisir en partant du point de vue que toute théorie renvoie à un contexte historico-épistémologique. La psychanalyse s’apparente ainsi à une thermodynamique qui mesure l’entropie – l’apparition de désordre – et où la libido devient le fluide dont la circulation participe de la description de l’état du système : se fait-elle sans encombre ?
Les membres de l’école de Palo Alto, contemporains, eux, du développement de la cybernétique, placent le même objet que cette dernière au centre de leur travail : l’information. L’analogie avec la physique se déplace dès lors vers la néguentropie – la création d’ordre – car, l’un dans l’autre, Bateson explique que c’est justement la bonne circulation de l’information qui permet de surmonter les différentes problématiques que rencontre un individu ; il explique qu’il faut saisir les troubles de la communication pour trouver les troubles mentaux d’un univers. En l’occurrence, la famille est leur premier objet d’étude, et ils les intègrent en tant que tel dans leurs méthodes.
Dans leur approche cybernétique, la causalité est circulaire et son véhicule est l’information, il n’est pas question d’une causalité linéaire où le passé détermine le présent et le futur : le passé est important mais sa compréhension n’est pas pour autant préalable à tout changement. L’information est omniprésente et remonte comme par capillarité dans toutes les étapes de la causalité, il faut donc s’intéresser à son émission et à sa réception – sachant que la perception de la réalité varie d’une personne à l’autre.
C’est avec cette vision que les théoriciens de Palo Alto s’attaquent aux « problèmes » dans les relations, ces « difficultés normales de la vie » qui reviennent continuellement car maintenues par les solutions contreproductives employées pour les résoudre – dites mouvements de type 1. Le thérapeute intervient ainsi pour empêcher la répétition de ces mouvements de type 1 – « toujours plus de la même chose » – dont une plaie supplémentaire est qu’ils entrainent un feedbackpositif lié à une intentionalité de même signe. Ainsi, la tâche du thérapeute est de faire émerger une réelle transformation, d’amener le patient à résoudre le problème de lui-même en parvenant à effectuer un mouvement dit de type 2, très souvent un « virage à 180 degrés » par rapport à ce qui précédait.
Dans ce travail de résolution, les émotions sont une composante essentielle car elles appartiennent à la rationalité humaine et font partie d’une « écologie de l’esprit ». Nous les entretenons avec nous-même, avec le monde, elles sont déclenchées par nos croyances et notre perception de la réalité. Elles accompagnent nos agissements : les accélèrent, les freinent. Il y a donc un déterminisme émotionnel et l’ignorer revient à se couper d’une partie de ce qui fait « problème », d’une partie de ce qui peut le résoudre, et d’une partie des ressources que l’individu doit employer à cette fin.
On peut enfin noter deux autres apports caractéristiques de l’école de Palo Alto : la théorie de double-contrainte, et les thérapies brèves. La première développe tout un ensemble d’exemples de communications dans lesquels le respect d’une obligation entraine la transgression d’une autre, ce qui génère la crainte d’une punition ou un sentiment de culpabilité. Quant aux thérapies brèves, elles sont fondées sur trois postulats : le patient détient les compétences nécessaires, le thérapeute doit les actionner par le biais d’interactions, et enfin, la durée limitée génère un méta-message positif à propos du thérapeute et de sa méthode.
Bibliographie
Bateson, Gregory. Une unité sacrée, Quelques pas de plus vers une écologie de l’esprit, Paris, Seuil, 1996.
Watzlawick, Paul. Les Cheveux du Baron de Münchhausen, Psychothérapie et “réalité”, Paris, Seuil, 1991.
Watzlawick, Paul. La réalité de la réalité, Paris, Seuil, 2014.
Watzlawick, Paul. Le langage du changement, Éléments de communication thérapeutique, Paris, Seuil, 2014.
Benoit, Denis, et Frédérique Perez-Benoit. « L’Intervention Systémique Brève. Pour une application, hors champ thérapeutique, du modèle de résolution de problèmes développé en Thérapie Brève », Revue internationale de psychosociologie, vol. xii, no. 26, 2006, pp. 97-141.
Lambrette, Grégory. « Travailler avec les émotions », Le Journal des psychologues, vol. 299, no. 6, 2012, pp. 71-75.
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