Année 2016/2017CoursIntroduction à la Philosophie à l’hôpital 2

Cours du 6 décembre 2016 / Cynthia Fleury

Le Transhumanisme : l’augmentation comme soin ?

Le mouvement transhumaniste a pris son essor à partir des années 1990. Son fer de lance est la World Transhumanist Association, créée en 1998 par Nick Bostrom et David Pearce, et depuis renommée Humanity+. D’autres figures du mouvement permettent d’observer les nuances qui peuvent exister en son sein – comme Aubrey de Grey, Raymond Kurzweil, Max More – mais toujours est-il que le postulat d’origine reste celui de repousser les limites biologiques de l’Homme grâce à la technologie. En 1947 déjà, Artaud voulait affranchir le corps des hiérarchies que lui impose l’organisme, dissocier les deux, « en finir avec le jugement de Dieu » ; un idéal de libération à son paroxysme que l’on retrouve en quelque sorte aujourd’hui.

Avant qu’il ne soit porté par des vecteurs institutionnels (universités, revues) et financiers (grandes entreprises technologiques), le projet transhumanisme a connu son proto essor des avancées considérables de la technique, de la connaissance accrue du corps humain conjuguée à la puissance de calcul immense et miniaturisée. Biologie, nanotechnologies, informatique et sciences cognitives se croisent pour, ce faisant, aboutir à une méthodologie d’alliage des sciences forgeant le matériau de nouveaux seuils paradigmatiques.

Ces derniers sont illustrés au travers des trois étapes du projet transhumaniste. La première étape est celle de la pénétration de la vie par la technologie, concrètement des prothèses biomédicales et de la bio ingénierie. La deuxième consiste en la création de vie artificielle, ce l’on retrouve par exemple dans la transgénèse via chromosome de synthèse, ou l’octogénèse. Enfin, la dernière est celle où la technologie dépasse (voire remplace) la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui, où, notamment via l’intelligence artificielle, les capacités de la création dépassent celles de son créateur originel.

Cette ultime étape porte le nom de « singularité », et faire un détour sémantique fournit l’occasion de passer aux critiques que soulèvent le transhumanisme car, à bien des égards, cette singularité s’oppose à celle du – et propre au – sujet. Il convient donc de s’interroger sur le bienfondé de la quête transhumaniste qui, bien au-delà de l’hybridation du corps (greffe), est fondée sur une volonté d’effacement du déterminisme biologique dont le pendant parait être de s’abandonner à un déterminisme technologique : un servage pour un autre – et pire ? Car, en outre, ne s’agirait-il pas que d’une vaste entreprise de simplification, de réification, d’une division euclidienne de l’Homme dont l’ensemble ne serait rien de plus que la somme de ses parties ? Enfin, jusqu’où l’évacuation de la vulnérabilité comme sublimation n’est-elle pas un masque pour l’avènement « d’Hommes supérieurs », et subtilisant par la même occasion la part de transcendance des humanités, des arts ?

Et, avancer cela, ce n’est pas du tout induire une opposition entre sciences humaines d’un côté, et sciences formelles et du vivant de l’autre ! Si bien que l’on peut également pointer l’ignorance du fait que l’évolution de la longévité ne peut être étudiée en occultant de la sorte ses co-variations avec celle de la fécondité, de la durée du développement, de la gestation etc… De plus, d’un point de vue méthodologique, avancer sans preuve expérimentale correspondante l’hypothèse d’une vie dépassant le millénaire n’est pas qu’une promesse intangible, mais aussi une absurdité scientifique.

Pierre Dubilly
Etudiant en Magistère de relations internationales
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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