par Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, professeure du Cnam, chaire Humanités et santé, et Antoine Fenoglio, designer et co-fondateur des Sismo.
Autour d’une archéologie possible des “proof of care”: historiographie de design, spécificité du “design with care” : grands courants ou designers ayant porté une attention ou une réflexion globale à la société et à la vulnérabilité dans leurs travaux.
Ce cours achève l’historiographie du design with care en abordant la période de 1939 à nos jours.
Avec la deuxième guerre mondiale, le design est impliqué dans l’économie de guerre : en Angleterre, un programme centralisé fait appel aux designers pour assurer la redistribution de certains biens matériels. La notion de progrès est brouillée par l’usage de certaines inventions scientifiques : le nucléaire servira aussi bien à la production d’électricité qu’à Hiroshima. Auschwitz anéantit le rêve de convergence entre science, technique et éthique porté par les Lumières.
L’enjeu du design post WWII sera ainsi de trouver une production de formes viable après le désastre.
Après-guerre aux USA, les designers participent au « management du surcroît », qui consiste à écouler la surproduction de matériaux de guerre recyclés dans l’industrie civile (nylon, polystyrène…). L’obsolescence programmée, facilitée par la plasturgie, instaure un changement majeur dans le rapport à l’objet : son fonctionnement inaccessible et son irréparabilité introduisent une distance avec l’usage. Les objets marchands, en nous faisant « passer le temps » détériorent le temps réflexif de l’homme (la scholè) et donc sa liberté (Arendt).
Au début des 60’s, le design contribue aux logiques marchandes en inondant le marché de plastique et matières synthétiques poussés par l’industrie pétrochimique. Des critiques de cette orientation se font jour : ainsi émerge la contre-culture, notamment le mouvement écologiste hippie aux USA.
Les 80’s et 90’s signent le début des designers créateurs : réintroduction de l’irrationnel et l’aléatoire dans les créations en réaction à l’uniformisation des cadres de vie (groupe Totem en France), affirmation de la validité de toutes les esthétiques (Sottsass en Italie) ouvrent la voie à une starification du meuble et des designers.
Aujourd’hui l’émiettement des pratiques du design, son caractère insaisissable lui permettent de rester libre dans ses propositions. Son attention pour l’humain constitue un socle vers lequel il est toujours revenu. (Ré)introduire l’éthique et la philosophie dans le design pour mieux déployer ses solutions : voilà ce que propose le design with care.