Ce premier cours sur l’antipsychiatrie revient sur deux contributions philosophiques majeures du mouvement : celles de Michel Foucault et d’Erving Goffman.
Ce qui tient ici de l’ouvrage de Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, concerne le mouvement – si ce n’est mythe – de « libération des aliénés » illustré notamment par Philippe Pinel à la fin du XVIIIesiècle. Foucault explique que ce qui peut sembler être une libération, celle des chaînes qui étrennaient la folie faisant peur, masque en fait une intériorisation de la contrainte et de la constriction : l’asile est le dispositif, le médecin psychiatre son opérateur et donc l’aliéné l’objet. C’est ici que se saisit le cœur de ce que pointe Foucault : l’individu n’est plus sujet mais objet ; et ce n’est pas un procédé fortuit mais la méthode de traitement : « de la reconnaissance de ce statut d’objet, de la prise de conscience de sa culpabilité, le fou doit revenir à sa conscience de sujet libre et responsable ». Finalement, pour Foucault, les fous ont étés délivré pour être contrôlés ; et l’asile psychiatrique n’est pas un lieu du soin mais espace judiciaire en ce qu’il organise ce contrôle intérieur par un « procès sous le tribunal de la conscience » dans le prolongement des valeurs morales de la société.
Goffman s’intéresse particulièrement à décrire ces lieux qu’ils désigne comme correspondant à la description d’une organisation totalitaire : isolement par rapport au monde extérieur, promiscuité entre les reclus, prise en charge des besoins des individus par l’institution (dés-autonomisation), observance d’un règlement qui s’immisce dans l’intimité, programmation de toute l’existence quotidienne, irréversibilité des rôles… Ce totalitarisme n’instruit qu’à charge et rétroactivement : tout, dans les comportements passés comme présents, vient justifier le sort actuel : qu’il soit calme ou agité peu importe, l’aliéné l’est toujours pathologiquement. Goffman explique qu’une telle institution met en place des « techniques de mortification » afin d’empêcher que le nouvel arrivant ne nuise. Cela correspond par exemple à l’isolement des malades, au dépouillement des biens personnels à l’arrivée comme de l’intimité pendant tout le séjour, aux outrages dont le premier est de parler en face de l’aliéné comme s’il n’était pas là, à l’astreinte à des tâches inutiles, à l’omniprésence de la saleté ou encore à l’instauration d’un système de complicité avec les gardiens qui permet d’obtenir des privilèges qui ne sont pas des avantages matériels mais uniquement une absence de privation. Pour Robert Castel, Goffman cherche ce faisant à « attraper la négativité dissimulée par le finalisme fonctionnaliste », celle d’une organisation qui opère en réalité comme technique de soin la désubjectivation.
Ce faisant, le constat sur la nature du lieu est le même que celui de Foucault : il ne s’agit pas d’un lieu de soin mais de contingence. C’est dans ce type d’idées que prend racine l’antipsychiatrie selon laquelle la folie doit être insérée dans un jeu social et constitue aussi une réponse à une situation inacceptable proposée par la famille ou la société : il faut donc que l’asile ne s’organise pas dans son prolongement mais en rupture de ses valeurs morales. Sans nier la dimension purement pathologique de certaines maladies comme la schizophrénie, il s’agit d’en saisir la dimension collective.
Pierre Dubilly
Etudiant en Magistère de relations internationales
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Références bibliographiques :
Foucault, Michel. Histoire de la folie à l’âge classique. Gallimard, 1972.
Goffman, Erving. Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux. Les Editions de Minuit, 1968