Introduction et enjeux
Dans cette intervention, Luc Faucher interroge la façon dont le langage contraint le sujet, ainsi que l’espace de liberté qui lui reste au sein de celui-ci. Il mentionne pour cela des travaux menés en 2007 par Boroditsky, montrant que parmi des sujets anglophones n’ayant qu’un seul mot pour désigner le bleu, et des sujets russophones disposant de deux mots pour désigner différentes teintes de bleu, les russophones étaient les plus rapides à distinguer les nuances de bleu. Ainsi, le langage influence notre appareil sensoriel visuel. Faucher mobilise ensuite une seconde expérience, réalisée par Chertok dans les années 70, au cours de laquelle ce dernier suggère à une patiente sous hypnose que la pièce qu’il dépose sur son bras est brûlante. Une cloque apparaît sur son bras, quelques heures après l’expérience : les mots prononcés ont ici engendré une altération corporelle, sous la forme d’une brûlure. Ces deux constats mènent Faucher à insister sur l’importance de l’intervention médicale, sur et par le langage, pour soigner les patients — rappelant que ces questions sont au cœur des psychothérapies.
L’entrée dans le langage humain d’un point de vue neuroscientifique
L’enfant, dès qu’il naît, dispose d’une organisation corticale prête à fonctionner au contact d’un environnement propice à l’apprentissage de sa langue maternelle. Cet apprentissage commence avec la prosodie de la langue, soutenue par des stimuli visuels renforçant l’interaction parent-enfant. Vient ensuite l’apprentissage de la phonétique : cette étape est le lieu d’interrogations sur la façon dont l’enfant découpe les unités de sens que sont les mots dans le flot de paroles qu’il entend. On sait que la prosodie et l’intonation aident à cette distinction, accompagnée de la désignation d’objets par l’enfant ou par les parents. Pour ce qui est de l’apprentissage des règles de la syntaxe, certains parlent d’une « grammaire universelle », structure linguistique innée — Chomsky —, d’autres, de l’appartenance de la dimension syntaxique du langage au développement cognitif global — Piaget —, quand des socio-linguistes insistent sur l’importance de l’interaction sociale dans ce processus.
L’entrée dans le langage humain d’un point de vue psychanalytique
Pour les psychanalystes, l’entrée dans le langage commence par un cri, ainsi que par le désir des parents, qui parlent de l’enfant avant même sa naissance — langage à l’origine d’un certain déterminisme. Pour Lacan, la manifestation de l’angoisse qu’est le cri « coïncide avec l’émergence même au monde de celui qui sera le sujet ». Ainsi le sujet se constitue par le langage dans lequel il prend place. Faucher rappelle qu’il ne peut y avoir langage qu’à condition que l’allocutaire élève le cri de l’enfant à valeur de mot. Pour Pichon, le langage advient « le jour où l’émetteur ayant aperçu l’impression produite par son cri sur l’auditeur le répète intentionnellement ». Ainsi, la réponse de l’autre au cri signifie à l’enfant qu’il « est », en même temps qu’elle nomme ce qu’il veut — l’objet de son cri. C’est ainsi de la parole de l’Autre que se constitue sa demande. Aussi, cette demande de l’enfant excède ses besoins primaires : elle ne peut alors jamais être totalement comblée, et c’est de ce manque que surgit la dimension désirante du sujet.
Langage : Contrainte ou liberté ?
Ayant insisté sur les déterminations psychiques et neurodéveloppementales du sujet humain par et dans le langage, Faucher pose la question de sa liberté dans celui-ci. Il mobilise pour cela les concepts d’Habermas, distinguant « l’esprit objectif » — collectif, dans lequel l’apprentissage du langage commun rend possible la communication — de « l’esprit subjectif », dans lequel il vise au contraire l’appropriation subjective de ces significations communes ainsi que la capacité d’innovation propre à chaque personne. Le langage n’est alors plus une simple réserve de significations, mais au contraire, un lieu d’inventivité : il apparaît donc comme un lieu pertinent pour penser l’humain comme doué d’une capacité de distanciation par rapport à ses déterminations. Faucher conclut enfin sur les perspectives ouvertes par ces différents constats, notamment pour les pathologies qui mettent en jeu corps et langage, et, renvoyant vers le livre de Thibierge intitulé Le Nom, L’Image, L’Objet, il insiste sur l’importance de prendre la mesure des effets du langage chez l’humain et donc de considérer l’abord psychanalytique comme une des ressources thérapeutiques en médecine.