Séminaire “Santé mentale : regards de philosophes”
Animé par Eva Liévain
Avec Philippe Fontaine
Phénoménologie de l’existence malheureuse :
Les altérations de l’espace et du temps en psychopathologie D’une manière générale, l’analyse des différents types de troubles de la personnalité, classiquement rangés sous la catégorie de « maladie mentale », permet de mettre en évidence l’existence d’une altération de la structure perceptive de l’espace et du temps, comme s’il s’agissait là d’un invariant psychopathologique signant sans ambiguïté l’entrée dans la psychose. On constate en effet que les altérations psychotiques de la personnalité sont toujours en rapport avec une déstructuration de la dimension temporelle du vécu et de l’être au monde, ainsi qu’une modification concomitante de la relation perceptive à l’espace, comme spatialité vécue. Cette double détérioration de ce que Kant appelait les « formes a priori de la sensibilité », conditions transcendantales de notre rapport au monde et aux autres, apparaît à l’analyse comme une expression morbide d’une désagrégation de l’image du corps. C’est l’ensemble du monde extérieur qui se trouve frappé de désorganisation dès lors que le psychotique n’habite plus son corps ; c’est le sens de la remarque de Merleau-Ponty, selon lequel « il ne faut pas dire que notre corps est dans l’espace ni d’ailleurs qu’il est dans le temps. Il habite l’espace et le temps. » C’est précisément cette manière d’ « habiter » l’espace et le temps, de les « embrasser » en s’appliquant à eux, qui discrimine le normal et le pathologique. L’ampleur de cette prise mesure celle de mon existence. C’est pourquoi une analyse approfondie de cette double détérioration est nécessaire à une compréhension authentique de la crise psychotique, mais permet également d’enrichir notre réflexion sur le sens de l’existence humaine, en tant que celle-ci est « transcendance », dépassement, projection du sujet en avant de soi, dans l’espace et le temps, et comporte ainsi, constitutivement, le risque de la crise, de la déchirure, du traumatisme, de l’effraction du moi. Dès lors, si le rapport « normal » au monde contient toujours déjà les germes d’une déviation possible, c’est la dichotomie classique entre raison et déraison, normal et pathologique, qu’il convient de réévaluer, à la lumière de ce qui peut apparaître moins comme une aberration incompréhensible que comme une des ultimes possibilités de l’existence humaine.
Maître de Conférences honoraire, agrégé de philosophie et Docteur, Philippe Fontaine, a soutenu sa thèse de philosophie sur « La question du corps et de la chair chez Husserl et Merleau-Ponty », sous la direction de Jean Granier à l’Université de Rouen, et est habilité à diriger des recherches (HDR sous la direction de Renaud Barbaras) par l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Il a été tout d’abord enseignant au lycée, puis en hypokhâgne au lycée Jeanne d’Arc de Rouen, avant d’être nommé Maître de Conférences à l’Université de Rouen.