La notion d’autonomie a été très souvent opposée à celle de la dépendance au point de confondre ces deux notions. Le dépendant n’est pas autonome. L’autonome est indépendant.
Or finalement, cette opposition entre ces deux termes n’a rien d’évident.
En effet ; l’autonomie au sens étymologique de « celui qui crée sa propre loi » semble avant tout relever d’une qualité, d’une liberté, possibilité individuelle. Tandis que nos dépendances se construisent en relation avec ce qui nous entoure. Relations de subordination : nous dépendons, de la loi juridique de notre état. Relations de solidarité : nous sommes liés organiquement ou fonctionnellement à un ensemble. Nous avons un corps inscrit dans le social, pris en charge par des institutions sociales. Relations de causalité : nous sommes déterminés par nos différents capitaux : génétiques, culturels, sociaux, économiques, éducatifs…
De ce fait, je pourrais être à la fois autonome, me crée ma propre loi, et dépendant de multiples relations. Si notre situation est toujours le reflet de nos multiples dépendances vis à vis du monde, cela met-il notre autonomie en jeu pour autant ? Oui si l’on considère que mon autonomie s’arrête là ou commencent celles des autres ou du moins si on considère qu’elle s’amoindrit là, où s’intensifient mes dépendances. Or cette confusion entre dépendance et autonomie, qui a été pointée notamment par les théories du care, vient d’une idéalisation de l’individu autonome :entendu comme un sujet libre, qui décide et agit seul, sans recours à une aide, capable de décisions, auteur et responsable de ses actes, capable de discerner ses préférences, ce qui est bon pour lui, capable d’avoir des projets, des désirs.
Être autonome supposerait alors, d’une manière ou d’une autre, de se constituer comme une entité distincte des autres entités : individu coupé et séparé des autres.
Cette définition en viendrait ainsi à masquer les interdépendances entre individus et société, à oublier multiples liens sociaux et affectifs qui permettent notre constitution, c’est à dire l’ensemble des relations dont on dépend : relation de soumission, de solidarité, d’inclusion à la société qui lui permette d’être ou de se dire ou de se sentir autonome. Or une personne autonome n’est pas une personne qui décide et agit seule, mais dont le pouvoirdécisionnel et les capacités d’action sont soutenus par de multiples relations. Ces définitions de l’individu autonome ne poseraient pas réellement de problème si cette « injonction à l’autonomie » n’en venait pas alors à culpabiliser ou dénigrer tous les individus qui ne bénificieraient pas des mêmes facilitateurs, niant ainsi les différents obstacles que l’existence peut placer sur la route de chacun. Cette injonction à l’autonomie rend ainsi les individus d’autant moins confiants en leur capacités qu’elle ne regarde chez eux que leurs « défaillances », les manques et les pertes, renforçant ainsi leurs difficultés sociales et leur stigmatisation. Ainsi nous pouvons relever un premier paradoxe. L’individu (qui se dirait, ou que l’on dirait) autonome (si tenté qu’il puisse exister et remplir les différents critères attendus) devient son contraire. Cette injonction à l’autonomie demande à chacun de correspondre à une certaine norme, établi par un certain nombre de critères. L’individu le plus autonome, celui qui a intériorisé toutes les valeurs, les comportements du bon auto-entrepreneur de soi tout en niant les relations sociales dont il dépend, se retrouve soumis à une loi hétéronome, à une vision, à des normes qui lui sont extérieurs. Or comme le rappelle Michael Foessel, « Rien ne garantit, que notre capacité d’émettre un désir ne soit pas la voix de l’autre en nous : c’est bien souvent la société qui parle à travers les objets, attitudes, valeurs que nous imaginons avoir élus. » Cela étant dit : il n’empêche que l’autonomie se donne dans un sentiment d’un sujet qui s’éprouve plus ou moins autonome. L’autonomie quand elle n’est pas directement accolée par une institution qui lui est extérieure qui viendrait qualifier une « perte d’autonomie », peut se ressentir comme gain ou perte.Certaines personnes se disent et se sentent autonomes, alors que d’autres se disent et se sentent dépendantes. « Je ne peux plus faire seulema toilette : je perds en autonomie » « Je suis capable de faire mes lacets tout seul :je gagne en autonomie » « Je suis en fauteuil roulant, un ascenseur est installé dans mon immeuble ; je gagne en autonomie »
Un individu se sentirait plus ou moins autonome quand il ne serait plus ou pas capable de réaliser les diverses activités de la vie quotidienne (activités physiques, sociales…) sans recourir à une aide. Plus je dépends des autres, moins je me sens autonome.
Finalement se dirait aujourd’hui autonome celui qui ferme les yeux sur les relations, les moyens techniques, qui lui permettent de l’être. Celui qui s’extrait des relations qui permettent sa constitution. Celui qui omets les liens, les règles, les techniques, les socles qui lui permettent d’exercer sa liberté.
Ce qui différencie les deux situations, c’est la nature, la forme des relations sociales que noue la personne, ainsi que leur nombre et leur diversité. Il semblerait que l’on puisse penser l’autonomie, le sentiment de son autonomie dans un rapport : rapport entre l’image que j’ai de moi-même ( ce que je fais) et mon moi idéal ( mes désirs), rapport entre ce que je suis et ce que les autres me renvoient, rapport entre moi et mon environnement, moi et la société, rapport que j’entretiens avec les autres et dans le monde, rapport que j’entretiens avec et dans le monde, rapport que j’entretiens avec mes différentes relations de dépendance.Posant cela : L’autonomie n’est-elle que relative à un contexte social, à une histoire personnelle et sociale, aux attentes d’une société ou aux objectifs que se fixent la personne elle-même ? Est-ce que l’on peut envisager ainsi qu’il existe des degrés d’autonomie, qu’il puisse être possible d’évaluer l’autonomie d’un sujet ? Sous quel critère ? qui les détermine ? Est-ce que finalement je peux perdre mon autonomie ou en autonomie ? Est-elle quantitative ou qualitative (qualité absolue du sujet) ?