Année 2016/2017Soin et Compassion 1

Séance du 13 octobre 2016 / Luigi FLORA

Le patient, le proche : un acteur de santé? Un co-auteur? Un patient partenaire?

Compte-rendu

L’éthique du care promeut un devoir de protection des plus vulnérables, à la fois des vies précarisées par le chômage et la pauvreté, des personnes atteintes de maladies mais aussi des soignants, dans nos sociétés capitalistes qui peinent à envisager des activités non marchandes. Or, nous serons non seulement probablement “tous des patients”1, mais nous sommes aussi tous amenés à prendre soin de nos enfants, de nos parents ou de nos proches en difficulté, ou atteints d’une maladie. Le soin est bien l’affaire du genre humain.

Pour poursuivre cette réflexion sur la répartition de la fonction soignante dans nos sociétés occidentales, intéressons nous plus particulièrement au fonctionnement des institutions hospitalières aujourd’hui. Depuis la fin des années 1980, s’observe une modification des attentes et besoins des patients. En effet, la prévalence des maladies chroniques est en forte augmentation dans nos pays occidentaux (50% de la population serait atteinte d’une maladie chronique en occident). Or la maladie et les d ifférentes interventions de santé ont un impact profond sur la vie quotidienne des individus. Malgré cela, les dispositifs médicaux restent majoritairement tournés vers des soins aigus et spécialisés. Ainsi, les patients, confrontés à une croissance continue du nombre d’acteurs avec lesquels il doivent interagir, deviennent les seuls garants et porteurs de la continuité et de la cohérence de leurs soins. “ Etre malade chronique devient un métier”. En effet, d u point de vue des intéressés eux-mêmes, cet événement est l’occasion d’un certain nombre d’activités nouvelles qui, de fait, produisent des savoirs. D’autres ressources apparaissent et sont mobilisables dans cette vulnérabilité, dans et par le soin qu’ils se procurent. L a fonction soignante est en grande partie réalisée par le patient lui-même : c’est lui qui apprend à se soigner et s’approprie le traitement. “ Le médecin soigne mais c’est bien le patient qui guérit”. Les patients sont des experts de la vie avec la maladie.

A l’Université de Montréal, s’est ouvert un bureau de collaboration partenaire soignant/patients. La perspective de cette co-construction propose de considérer le patient comme un membre à part entière de l’équipe de soins. “ On ne parle pas du malade sans lui.” Le Montreal model s’appuie sur le “savoir expérientiel des patients”, défini comme les “savoirs du patient, issus du vécu de ses problèmes de santé ou psychosociaux, de son expérience et de sa connaissance de la trajectoire de soins et services, ainsi que des répercussions de ces problèmes sur sa vie personnelle et celle de ses proches.” Ainsi, dans cette perspective de partenariat, les actes de soins de qualité reposent sur les connaissances scientifiques des professionnels et les savoirs expérientiels des patients, issus de leur vie avec la maladie. Le patient doit pouvoir faire valoir son expérience, ses savoirs expérientiels afin de prendre part aux décisions le concernant et exercer un certain niveau de leadership, au même titre que les professionnels apportent leur expertise clinique . La collaboration entre les patients et les soignants suppose de la part des professionnels la responsabilité d’informer mais surtout d’entretenir avec le patient une relation d’apprentissage, afin que celui-ci développe la compréhension de sa maladie, de ses déterminants et de son traitement pour lui permettre de devenir progressivement autonome et actif dans la dynamique de soins. Car au final, c’est bien à lui que revient la décision de suivre ou non son traitement. Or, ce dernier peut être vécu comme une agression lorsque la personne malade ne comprend pas la thérapeutique qui lui est administrée. Il est donc nécessaire que les soignants soient à l’écoute de leur patient et attentifs à la manière dont la personne accueille ce soin. L’acceptation du soin permet un processus de rééquilibrage qui rend le patient capacitaire. Ainsi, un soin réalisé au moment opportun, dans une écoute compassionnelle, permet au patient de trouver son propre cheminement vers la guérison. Sans cela, les institutions pédagogiques et de soin, ne font que reproduire des rapports sociaux de pouvoir qui peuvent devenir un véritable obstacle à l’apprentissage. Ignorer la singularité de chaque personne, tend à transformer l’expérience de l’usager des institutions médicales d’une expérience choisie à une expérience subie.

Il est alors nécessaire d’horizontaliser le soin en proposant un univers humanisant où le projet de vie du patient se trouverait au coeur du projet médical. Améliorons le système de la santé en revisitant les problèmes que posent la hiérarchie, la protocolisation et l’évaluation qui nuisent à une éthique du “prendre soin”. Les personnes soignantes se retrouvent souvent démunies face à la détresse et la singularité du malade. Sensibilions et formons différemment, osons une éducation citoyenne sur la santé en intégrant l’expérience des patients au sein des formations médicales et paramédicales. Un apprentissage à l’expérience de la vie malade, à la compassion, serait un préalable indispensable à la rencontre, à l’élaboration d’un environnement favorable et à la création d’une relation de confiance entre soignants et soignées. Promulguons un modèle de décision partagée afin d’améliorer l’efficacité de la prise en charge. Agissons avec compassion, pensons un soin commun pour optimiser le soin et pour subjectiver la vie des malades.

Nous assistons aujourd’hui à l’émergence de nouveaux types de collaborateurs, des acteurs “non-professionnels” de santé, au sein des hôpitaux composant des équipes pluridisciplinaires. Des associations, des bénévoles, des patients interviennent dans l’accompagnement des personnes malades pour faire valoir les particularités, les valeurs et le vécu des patients. De même, l’introduction de ce séminaire dans la chaire de philosophie de l’Hôtel-Dieu souhaite participer de cet engagement citoyen de chacun face à la prise de conscience d’un manque des humanités dans nos institutions.

  1. Martin Winckler, Nous sommes tous des patients, Stock, 2003.