Corine Pelluchon – L’éthique des vertus. Considération, vulnérabilité, compassion dans le soin
Il faut commencer avec la définition de “considérer”. Cumsideris, de cum: avec, et sidus: constellation d’étoiles. Considérer, c’est regarder quelque chose ou quelqu’un avec la même considération que s’il s’agissait d’une constellation d’étoiles. Autrement dit, il y a cette idée de l’attention qui individualise la personne considérée.
On voit que la considération n’est pas la même chose que le respect, qui lui, est un devoir, celui d’accorder à chaque être le respect de sa dignité. La considération est un regard porté sur une personne et lui donne une place dans le monde. L’éthique étant aussi l’idée de la reconnaissance pas seulement de la valeur propre des êtres, mais de leur donner une place et de les enjoindre à trouver leur place dans le monde. On replace la personne dans l’ensemble (cum).
Néanmoins, la considération est presque un mot magique dans le soin, pour les personnes souffrant de maladies et d’effets de traitements. Une personne qui cherche vos besoins spécifiques et vous donne une place à un moment où on est en situation de vulnérabilité, ce n’est pas rien. Que requiert cette attitude qu’est la considération? Elle suppose une transformation de soi, c’est surtout une attitude globale.
Une des vertus nécessaires, celle qu’Aristote considère comme essentielle au soin est la prudence (le phronimos)[1]. Le juste milieu. La condition d’une bonne action vient de la capacité de la personne à viser le juste milieu.
C’est une vertu intellectuelle, qui aide les autres vertus: la tempérance, la justice, le courage notamment. Ce sont quatre vertus cardinales qu’on retrouve toujours (parmi toutes celles décrites par Aristote).
La prudence, située au niveau éthique, des manières d’être, c’est à dire des traits moraux (qui sont à la fois un ensemble de représentations mais aussi d’émotions), font que j’ai du plaisir à faire le bien. Pour Aristote, on l’acquiert en imitant les personnes qui en sont dotées. Mais comment passer de la théorie à la pratique? Ce n’est pas clair.
Et donc pour Corine Pelluchon, pour que la prudence – essentielle dans le soin – s’acquière, cela suppose une attitude spécifique, qui sera décrite sur le plan de l’éthique. Cela suppose une perception de l’incommensurable, un rapport à soi par rapport à ce qui me dépasse (non pas Dieu, mais le monde commun). Dans la considération, on a une connaissance de soi, une vigilance intérieure, une pesée des affects, qui va beaucoup plus loin que d’estimer le juste milieu. C’est une expérience qui passe par une configuration du temps me permettant d’anticiper les conséquences de l’action, de m’appuyer sur le passé, me permettant d’avoir une qualité de présence d’accueil au présent. Ce monde commun infini dans lequel je me sens fini qui va me permettre de trouver ma place.
L’éthique permet de trouver sa bonne place, dans un processus qui comporte un volet d’auto-subjectivation qu’on pourrait appeler l’autonomie morale, l’identification des biens auxquels je tiens, et qui structurent le caractère, lequel n’est pas lié à ma psychologie, mais aux biens que je chéris. (Platon[2]). L’autre volet de transformation de soi qu’implique la considération qui prend donc du temps c’est un processus d’individuation où j’élargis la sphère de ma considération à d’autres. C’est un élargissement du sujet, qui n’aboutit pas à une dissolution dans le tout, cela n’a rien de mystique, au contraire, la considération individualise celui ou celle que je vois, y compris les autres êtres, elle suppose un rapport d’attention, c’est à dire d’intimité avec ceux et celles que je considère, mais aussi elle m’individualise moi-même.
Corine Pelluchon s’inscrit dans l’éthique des vertus. Pourquoi cette approche de la morale qu’on appelle l’éthique des vertus? Il existe traditionnellement trois approches de l’éthique: déontologique, conséquentialiste et la troisième, pragmatique car le monde des idées ne suffit pas. L’éthique des vertus est l’ensemble des traits moraux, donc stables, acquis, qui permettent à une personne de bien agir (il ne suffit pas de connaître le bien, il faut aussi l’intégrer comme une partie de soi, et donner autant de valeur à l’autre qu’à soi pour faire le bien). Se joue aussi la capacité à recevoir un soin, à recevoir de la considération, en miroir, qui n’était pas envisagée dans l’éthique du care.
Pelluchon aborde ici dans un premier temps la définition de l’éthique des vertus, à savoir pourquoi Aristote ne suffit pas, et les deux éléments qui expliquent l’éthique des vertus: l’humilité et l’expérience de l’incommensurable (introduction de la notion de transdescendance); dans un deuxième temps, pourquoi cette éthique des vertus est assise sur la phénoménologie de la corporéité (sur le corps et la vulnérabilité mais pas seulement); enfin dans la troisième partie, elle aborde l’organisation du travail et l’éducation morale qu’il faudrait mettre en place pour éviter que les gens fassent le mal, pour une société qui évite la déshumanisation.
Bibliographie: L’éthique de la considération. Corine Pelluchon
[1] Bibliographie sur la prudence par Aristote
[2] Bibliographie Platon: sur les biens que je chéris qui structurent le caractère