Il est ici question de la part subjective du soin, comme corollaire de sa dimension objective – cette dernière correspondant au traitement visant à éliminer la cause de souffrance. Carl Jung et Donald Winnicott insistent l’un comme l’autre sur le fait que cet aspect du soin, trop souvent considéré comme secondaire voire optionnel, revêt en réalité une importance primordiale car conditionnant le recouvrement du patient et sa résilience future.
Jung évoque l’inconscient dans le soin comme le lieu d’une rencontre avec une « part d’ombre », ce qui échappe a priori à chacun en lui-même. Elle correspond à des dynamiques psychiques essentielles à la santé, et dont l’ignorance constitue un terreau fertile pour le développement du problème qui surviendrait. Le rôle du médecin est alors de mener la recherche conjointe des « forces secourables » que son patient possède mais ignore ; ce dont découle la nécessité pour le médecin d’avoir, au préalable, travaillé sur lui-même afin de résorber sa propre « impréparation psychique ». Ces forces, liées à la dialectique entre conscience et inconscience, restent assez peu perceptibles « tant que tout va bien » – d’autant plus que l’époque n’aide en rien à ce qu’on les estime à leur juste valeur – mais, pour Jung, leur potentiel se voit dans l’ampleur des questions qui assaillent la personne en recherche d’elle-même.
A la différence de cette appréhension de la dimension subjective du soin par l’intérieur (« représentations secourables », « part d’ombre », « impréparation »), Winnicott opte plutôt pour une approche extérieure : il s’agit pour lui de poser un cadre permettant d’intégrer rigoureusement la subjectivité dans le soin. Ce cadre de la relation médecin-patient est issu de la psychanalyse qui a dû, par son objet, théoriser les relations sociales dont l’intégration se fait d’ordinaire par l’éducation et l’expérience. Il a pour but de créer les conditions d’existence de ce qui fonde la relation à autrui : la relation de confiance intersubjective. Le médecin se doit alors d’être absolument neutre, scrupuleusement honnête, ainsi que de maintenir une certaine distance grâce au rythme et la durée des entretiens, tout en permettant une entrée en imagination respective avec les sentiments de l’autre. Ces règles permettent aux deux individus de se rencontrer. Elles dérivent du soin primaire qu’est celui de la mère pour son enfant car, sans avoir pour objet de le reconstituer pour autant, les règles que propose Winnicott consistent à démontrer que le soignant est fiable, que le patient peut avancer et se livrer sans avoir de crainte qui nuirait au soin. A l’image du serment d’Hippocrate, l’essentiel est d’abord dans la confiance dont le médecin est investi.
Ainsi, l’accès à la subjectivité se fait dans un cas par la prise en compte de la part d’ombre, des processus que l’on ignore au fond de soi, et dans un autre cas par le biais d’un cadre instituant une confiance, cette dernière permettant les associations libres du patient, expressions de sa subjectivité. Malgré leurs différences, ces deux conceptions ont en commun leur holisme, le caractère inextricable de l’objectif et du subjectif, du visible et de l’invisible – de l’importance cruciale de l’un comme de l’autre. Finalement, s’intéresser à ces analyses est particulièrement utile aussi parce qu’elles ouvrent la porte sur la conceptualisation de ce qu’est le care : le pendant subjectif de la cure.
Pierre Dubilly
Etudiant en Magistère de relations internationales
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Références bibliographiques :
Jung, Carl. Présent et avenir. Poche, 1995.
Jung, Carl. Les racines de la conscience. Poche, 1995.
Winnicott, Donald. Cure (conférence), 1970.