Séminaire “Santé mentale, regards de philosophes”.
Animé par Eva Liévain
Intervention de David Simonin
Nietzsche et la psychopathologie des croyances
Au début des années 1880, Nietzsche s’intéresse de près à la psychophysiologie pour déconstruire ce qu’il appelle alors, dans le sous-titre d’Aurore (1881), les « préjugés moraux » et religieux, dont il s’attache à déconstruire les idées essentielles comme autant de vues de l’esprit. En s’appuyant sur diverses lectures de psychologues, psychiatres et aliénistes, tels Alexander Bain ou Henry Maudsley et, plus tard, Charles Féré, il étaye sa démarche en développant, en particulier, une psychopathologie des croyances. Loin de faire seulement un usage métaphorique du vocabulaire médical, en reconduisant de manière polémique la foi à un trouble mental, il se révèle très informé des dernières avancées en la matière. La mélancolie, l’hyper-nervosité, la maladie maniaco-dépressive, l’épilepsie, les idées fixes, la démence en général, sont omniprésentes sous sa plume. En y recourant, il s’attache non seulement à diagnostiquer les errances de la pensée mais aussi, et plus fondamentalement encore, une tendance générale de l’esprit humain à s’abuser, à perdre de vue la réalité en se berçant d’illusions. Renversant la relation habituelle, il s’efforce alors de penser le normal à l’aune du pathologique et, en nouveau médecin de l’âme, dresse un diagnostic de la relation perturbée que les êtres humains entretiennent avec la réalité, afin d’y apporter des remèdes.
Chercheur associé à l’Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM, CNRS/ENS), David Simonin est normalien, agrégé, et docteur en philosophie, est également membre-fondateur du Cercle d’études nietzschéennes (https://www.cen-info.com) et membre du groupe de recherche international HyperNietzsche. Il est notamment l’auteur d’une monographie consacrée au Sentiment de puissance dans la philosophie de Friedrich Nietzsche et d’une quinzaine d’articles et ouvrages collectifs sur la pensée de Nietzsche.