Astrid Chevance anime cette séance hors cycle avec Florence Weber et Julien Clément.
La pensée de Marcel Mauss, sociologue durkheimien et fondateur de l’anthropologie sociale, est doublement efficace aujourd’hui : parce qu’elle permet de réfléchir à nouveaux frais sur les liens entre faits sociaux et faits biologiques, sans rien lâcher de la rigueur scientifique propre à la sociologie durkheimienne ; parce qu’elle permet de comprendre les difficultés du dialogue interdisciplinaire entre sciences biomédicales et science des sociétés, en montrant l’étroitesse des voies possibles dans la France de l’entre-deux-guerres. C’est dans cette double perspective, épistémologique et historique, que nous avons présenté le dernier volume des Œuvres choisies de Marcel Mauss, Sociologie, psychologie, physiologie, qui paraît dans la collection Quadrige/Classiques en 2021. Nous avons travaillé à trois : Astrid Chevance, psychiatre, agrégée d’histoire et épidémiologiste ; Julien Clément, anthropologue, spécialiste du sport, qui a travaillé sur le rugby de Samoa au début du XXIe siècle ; Florence Weber, sociologue et anthropologue, qui a travaillé depuis 2005 sur la prise en charge familiale et professionnelle des personnes « dépendantes », et plus récemment sur la prise en charge des troubles psychiques invalidants. En 1924, la Société de psychologie, fondée en 1903 par Paul Janet et Georges Dumas, confie sa présidence annuelle à Marcel Mauss, neveu d’Émile Durkheim, connu pour son activité dans la section « sociologie religieuse » de L’Année sociologique, et particulièrement pour ses travaux sur les sociétés aborigènes d’Australie et sur les religions antiques. Sa coopération avec Georges Dumas date d’avant la première guerre mondiale : Georges Dumas s’intéresse aux états psychiques à l’œuvre dans les expériences religieuses, Marcel Mauss cherche confirmation de ses travaux sur l’efficacité des rituels, « manuels » et « oraux », auprès des populations suivies en psychiatrie. Après les progrès scientifiques effectués en psychiatrie et en sociologie pendant et après la première guerre mondiale, la période suscite chez les observateurs du monde contemporain un vif intérêt pour les phénomènes de « psychologie collective ». Marcel Mauss publie, entre 1921 et 1924, trois textes majeurs sur ces questions, où il montre que les individus expriment et ressentent ce que le groupe attend de ses membres, où il dresse un bilan des relations entre une discipline médicale, la psychologie, et la science des sociétés ; où il rapporte à ses auditeurs médecins des faits issus des sociétés aborigènes australiennes et néo-zélandaises, pour leur demander de s’y intéresser d’un point de vue psychopathologique. La proposition de coopération tourne court, Mauss se détourne de la psychiatrie, investit dans l’anthropologie des relations de parenté, dans l’étude sociologique du corps et dans l’étude historique de la notion de personne, tout en suivant Ignace Meyerson dans sa fondation d’une psychologie historique. Nous proposons ici de revenir sur cette « rencontre manquée » entre psychologie et sociologie pour évaluer les potentialités d’une nouvelle rencontre aujourd’hui