Séance du 1 decembre 2016 / Marie DE HENNEZEL
Compassion et dignité en fin de vie
Compte rendu
Marie de Hennezel
Compassion et la dignité en fin de vie
“Personne ne peut affirmer qu’il ne passera jamais de l’autre côté de la barrière des bien portants. Personne ne peut prétendre qu’il ne se retrouvera pas un jour sur un lit d’hôpital, ni assis au chevet d’un proche malade ou près de sa fin. Ce jour-là, nous voudrions non seulement des soins efficaces mais des soins humains. Nous avons soif de ce regard, de ce sourire, de ce geste qui disent l’attention et le respect. De ces petites choses qui donnent le sentiment intime que l’on reste un être humain.”
Le souci de l’autre, Marie de Hennezel
Soignants et soignés : le partage et l’acceptation de sa propre vulnérabilité
Dans un monde qui valorise l’efficacité technique, la rentabilité, le chacun pour soi, il devient de plus en plus difficile de défendre les valeurs du soin, le don de soi, la disponibilité envers celui qui souffre. Aller vers l’autre ne semble pas aller de soi. Comment prendre en compte cette dimension humaine essentielle à tout soin, ce “presque-rien”, cette qualité d’attention, ce regard, cette présence silencieuse, cette lenteur, cette disponibilité dans l’instant présent?
Une révolution de la relation humaine doit se produire au-delà de la technique, quelle que soit la réalité des problèmes administratifs ou budgétaires. Chaque patient devrait pouvoir trouver sa place et se sentir accepté en tant qu’être humain par le système médical. Ne faudrait-il pas davantage former les soignants à la rencontre avant de les former à la technicité du soin, les confronter à la fin de vie dès le début de la formation? Car ce qui lie tous les humains, c’est aussi leur vulnérabilité, le propre de notre humanité.
La médecine à l’épreuve de la mort
L’accompagnement des mourants semble être un moment à côté duquel il ne faudrait pas passer car il permettrait d’accoucher de soi-même, de se mettre au monde. Accompagner les autres, soutenir le désir de vivre – ou de mourir – de l’autre, c’est aider l’autre à accoucher de lui-même mais aussi apprendre de soi-même. La mort fait partie de la vie et la vie ne serait pas ce qu’elle est sans la mort. La mort tonalise le “sérieux” de l’existence, et les soins de fin de vie permettent d’accepter et d’accueillir cette vulnérabilité fondamentale du vivant. Les soins palliatifs ne sont pas seulement le lieu d’un combat contre la mort mais la manifestation d’une attention envers le malade qui n’est pas seulement un mourant mais plutôt, comme le dit Ricoeur, un “vivant jusqu’à la mort”. Ils peuvent ainsi se retrouver du côté de la vitalité et non pas du morbide.
La fin de vie vient révéler à la fois l’extrême limite de la médecine, sa défaillance, son impuissance face à la mort, et en même temps elle en révèle l’essence et le sens. En effet, les médecins ont pour vocation le guérir, la maîtrise de la mort. Ils ne sont que très peu formés à la mort et vivent souvent comme un échec l’impossibilité de ne pouvoir guérir leurs patients. Or, alors même que la mort semble évacuée dans nos sociétés, mis du côté de échec, les soins palliatifs ouvrent à une prise en compte d’une dimension fondamentale du soin : son incertitude, son humanité. La fin de vie, les soins palliatifs révèlent cette ambivalence entre deux pôles du médical : sa part technoscientifique et sa dimension relationnelle de care, d’écoute et d’accompagnement. Ils viennent finalement rappeler que la médecine est elle-même fondamentalement palliative, puisque personne – pour l’instant – n’échappera à la mort quelque soit la technicité médicale. On peut alors étendre la notion de “soins palliatifs”, désignant un seul service spécialisé, à celle de “culture palliative” propre au médical. En effet, l’expérience de l’accompagnement de la mort met fin à un certain nombre de certitudes sur la médecine, à l’idée de sa toute-puissance et en appelle à une responsabilité éthique. Elle nous permet d’apprendre à ne rien faire, d’apprendre une certaine qualité de présence afin d’aider à mourir, pleinement vivant. Mais cela nécessite de faire le deuil d’une certaine idéalisation de la médecine et implique de sortir du déni de la mort, pour questionner la perspective de sa mort.
Pourquoi poser la question de la mort et la nécessité d’un soin compassionnel qu’à son extrême fin, qu’en fin de vie?
La distance intime, présence et compassion
“Pour que l’au-delà ait un sens, il faut faire honneur à la plénitude, à l’intensité, à la saveur incomparable de l’en-deçà.”
La mort, Vladimir Jankélévitch
Nombreux sont les médecins qui pensent ne pas avoir le temps pour la compassion. Or, aussi débordés qu’ils soient, certains trouvent le temps de s’asseoir quelques minutes au chevet de leurs patients plutôt que de rester debout, prêts à partir. Ce simple geste donne le sentiment au patient que l’on est disponible pour lui. Or la personne malade a besoin de se sentir partenaire de ses soins, de sentir qu’elle n’est pas seule, que les autres le soutiennent et l’accompagnent. La solidarité entre patients montre bien l’importance d’une parole, d’une écoute. C’est cette hospitalité, cette bienveillance qui peut permettre au patient de se sentir plus fort, de reprendre espoir. Car une médecine humaine se préoccupe du malade avant de se préoccuper de sa maladie.
La rencontre avec la vulnérabilité de l’autre permet une expression de ses émotions, une compassion sans débordement. Quand nous ne pouvons plus rien faire techniquement, il reste encore un soin à donner. On peut rester présent, rester vrai et accompagner, dans une écoute attentive et compassionnelle des besoins de l’autre. Assumer l’humilité du “je ne sais pas” permet d’entamer une relation de confiance. Le patient sait qu’il peut compter sur un soignant “vrai”, un soignant qui sait se montrer impuissant, vulnérable, en un mot : humain