par Nicolas Nova, co-fondateur du Near Future Laboratory, et Antoine Fenoglio, designer et co-fondateur des Sismo.
Le présentisme : un difficile rapport à l’avenir
Dans cette intervention, Nicolas Nova propose un retour sur les relations entre le design et les façons dont il peut mettre en scène différents imaginaires. Pour cela, il part de la capacité des sujets à se projeter dans l’avenir, usant du concept de « présentisme » développé par Hartog dans Régimes d’historicité. Le présentisme caractérise une difficulté à se projeter dans l’avenir, ainsi qu’une survalorisation des réalisations passées, provoquant un sentiment d’enfermement dans le présent. Pour Nova, le présentisme est accompagné d’un défaut des imaginaires collectifs sur l’idée d’avenir, appréhendée au prisme du progrès. Il cite ainsi Jankélévitch, qui parle de « mirage du futur antérieur » : on se figurerait le futur sous la forme d’une continuité linéaire, par rapport au passé. Pourtant, remarque Nova, les 50 dernières années nous ont fourni des raisons de penser que cette perspective historique téléologique du progrès est insatisfaisante — avec notamment l’invention de la bombe atomique et l’émergence de crises écologiques majeures. Les évolutions scientifiques posent des problèmes éthiques, que nos imaginaires temporels peinent à représenter adéquatement : comment sortir de cet enfermement temporel ?
La fiction comme médium de projection temporelle
Nova convoque ici un article de Stephenson, « Innovation Starvation », publié dans Wired. Pour cet écrivain de science-fiction, il s’agirait de stimuler par le récit l’imagination et le désir d’innovation des ingénieurs. Mais, s’il semble nécessaire de soigner les imaginaires entourant l’innovation technique, reste que l’article ne remet pas assez en question la grandiloquence des imaginaires de conquête spatiale et technologique. Pour penser les problématiques sociales et écologiques à l’origine du déclin de l’idéologie du progrès, Nova suggère ainsi de joindre à la technologie le champ des sciences humaines : il cite Penser l’anthropocène, ouvrage dans lequel Descola pointe l’enjeu que représentent les représentations subjectives du temps et de l’être pour documenter des manières alternatives de « composer des mondes ». Plus encore que les mots, Nova soutient que les arts appliqués constituent une manière de se saisir des questions. Le speculative design, notamment, consiste à interroger des situations pour mettre en lumière des voies futures alternatives : l’objet, à visée pédagogique, incarne alors les problématiques soulevées, permettant une appréhension pratique de celles-ci.
Enjeux : par-delà la subversion
Si les imaginaires fictifs permettent de nourrir les imaginaires temporels collectifs et de se saisir de problématiques émergentes, le récit comme projection temporelle tend cependant à penser l’avenir sous la forme de dystopies. Prado, une designer, dénonce par ailleurs une tendance à mettre en récit des problématiques dites « fictionnelles », en fait déjà advenues dans des contextes éloignés des designers en question — enfermés non plus dans une temporalité présente mais dans leur spatialité immédiate. Nova mobilise alors Raven pour penser des « modalités d’interventions », plus objectives ou normatives. Mettre en exergue des problèmes ne suffit pas : encore faut-il trouver des solutions. Il conclut son intervention en citant Tsing, qui, dans Arts of Living on a Damaged Planet, insiste sur l’importance de la capacité d’attention afin de penser des solutions sans écraser la diversité des situations. Il cite également Halse, qui dans Ethnographies of the possible, pense le design comme une forme d’ethnographie des possibles. L’objet, prototype diégétique, convoque ainsi trois capacités que sont l’observation, la mise en forme plastique et pratique, ainsi que l’anticipation de besoins à venir, comme autant de réponses aux enjeux phares d’un design du care, visant à rendre le monde plus habitable.