L’idée de parler sur ce thème m’est venue à l’écoute d’une conférence donnée par le professeur Emmanuel Falque de l’université Catholique de Paris. Je vais m’appuyer sur l’idée d’un « corps épandu » qu’a forgée mon collègue, au début du second temps de mon propos : qu’il s’agisse des soignants, des patients ou des accompagnants, comment interroger l’expérience du corps de ceux et celles qui ne peuvent plus que « reposer » sur leur lit, corps mourants ou trop souffrants ? Est-ce qu’il ne s’agit pas là de quelque chose dont on ne rend en fait pascorrectement compte par le biais des concepts que l’histoire de la philosophie a forgés pour appréhender le corps ? Est-ce qu’il n’y a pas là comme une « zone intermédiaire » entre « corps objectif » et « corps subjectif » ? A ces questions d’E. Falque, exposées dans son récent ouvrage Ethique du corps épandu (Paris, Cerf, 2018 ; suivi deUne chair épandue sur le divan, par Sabine Fos-Falque), je vais lier la question du sens et du non-sens : comment la mort et la souffrance, présentes dans le corps, nous renvoient-elles aux deux à la fois ?
Pour remettre ce questionnement en perspective je commencerai par resituer le positionnement de la philosophie par rapport à la médecine en rappelant quelques grandes lignes conceptuelles : on s’interrogeait jadis sur le lien de « l’âme et du corps » ; mais c’est, ensuite, avec la mise en avant de la notion de conscience que la question du sens est mise au centre de notre existence d’humains. Comment, dans sa pratique du corps, la médecine peut-elle rejoindre la philosophie pour se retrouver prise dans cette question ?
Pour cela je demanderai appui à un philosophe et à un psychiatre bien particuliers : à savoir, Nietzsche, et Lacan. L’un et l’autre nous amènent chacun à leur façon à penser que ce que nous appelons le sens, ce qui fait sens dans notre existence, n’a peut-être pas seulement et primitivement son ancrage dans la conscience : mais, avec aussi l’appui de l’inconscient et sa structure, directement dans le corps ?
Enfin, je voudrais essayer de partir de ce moment théorique pour formuler quelques suggestions s’agissant du rapport que ceux qui entourent les mourants et les souffrants peuvent tisser avec lui – particulièrement dans les moments où le corps proche de ses limites a éclipsé la conscience. S’il y a un sens « au-delà de de la conscience », quelque chose en quoi la conscience voit bien plutôt du « non-sens , comment tout de même et simplement l’écouter ?
Charlotte Morel