Nous avons vu précédemment que la bioéthique n’était pas « une éthique au premier degré », c’est à dire qu’elle n’est pas simplement un ensemble de principes dont l’application permettrait de résoudre des problèmes où la vie est en jeu. Elle correspond davantage à une dialectique entre deux ordres de contradictions posées par l’émergence de nouvelles techniques biomédicales.
Ainsi, le premier ensemble de contradictions est doctrinal ou culturel, c’est-à-dire que la bioéthique constitue un cadre, une arène fraternelle pour traiter des oppositions résultant du débat démocratique entre différentes éthiques légitimement invoquées face à des questions nouvellement suscitées par la technique, et relevant par exemple, in fine,du choix de mourir ou non, du sens de la vie, ou de ce que l’on considère comme pire que la mort.
Le deuxième ensemble de contradictions est relationnel, du fait de l’ancrage du médical dans les relations humaines. En effet, des divergences peuvent surgir dans la médecine car, bien que cette dernière soit a priori intégralement éthique, elle peut aussi induire des rapports de domination voire une forme de violence. Plus qu’une opposition entre le bien et le mal, il s’agit de la rencontre de deux éthiques absolues : celle du médecin qui doit soigner, et celle du patient qui a sa liberté.
Pour comprendre ces contradictions internes, ces « médiations sur le chemin du soin ou de la bienveillance », il est nécessaire de s’intéresser à la préhistoire de la bioéthique. Comme vu précédemment, le serment d’Hippocrate constitue en quelque sorte le premier texte de bioéthique car il impose au médecin de ne pas révéler ce à quoi il assiste dans la maison du patient, base du respect de la personne. Le code de Nuremberg, datant de 1947, est un autre jalon de la bioéthique. En effet, il dénonce fondamentalement la démarche dans laquelle, se prévalant d’œuvrer à la recherche médicale, les médecins nazis commettaient des crimes abominables. Le code de Nuremberg établit ainsi que « le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel » dans toute la démarche d’expérimentation : nature, durée, méthodes, risques encourus, conséquences possibles… Dans cette même logique, le rapport Belmont pose en 1979 les trois principes de base de la bioéthique vus précédemment.
Les contradictions relationnelles viennent des différents avis fournis quant aux nouveautés dans les relations humaines que la technique engendre. Pour encadrer ces relations, on utilise notamment la notion de don car c’est la seule technique de transfert qui ne dépend que de l’intention de celui qui donne et de sa subjectivité, permettant de ne pas créer de relation de pouvoir, de ne pas trahir la nature de l’objet (une partie du corps humain ne peut être vendue), ou encore de ne pas mélanger les relations (la personne qui donne ses gamètes est un donneur, un géniteur, mais pas un parent).
Ainsi, la notion de don vient résoudre une contradiction éthique d’ordre relationnel, mais elle fait apparaitre à son tour des contradictions d’ordre doctrinal : le don est-il purement altruiste ou est-il aussi un geste d’amour ? Faut-il le voir malgré tout comme une relation d’échange appelant un contre-don ? A nouveau, nous voyons le fondement dialectique de la bioéthique, entre deux ordres de contradictions, culturel et relationnel.
Pierre Dubilly
Étudiant en Magistère de relations internationales
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne