Marie Gaille – Santé et environnement
Dans son ouvrage « Santé et environnement », Marie Gaille propose « d’aborder la santé et la maladie sous l’angle de leur relation à l’environnement » en démontrant finalement comment l’environnement a presque toujours fait partie d’une prise en compte de la médecine sous des formes diverses. Elle dégage ainsi deux lignes de conceptualisations de la relation entre santé, maladie et environnement qui se traduisent par deux conceptions de la médecine et recoupent deux visions de l’être humain et de l’environnement. La première conception serait une conception statistique, atomiste, biologique qui définit santé comme absence de maladie. La maladie est ainsi éprouvée comme diminution de ses capacités. Et la médecine tente d’être attentive aux causes extérieures au corps afin d’éradiquer la maladie, ou de conduire à la guérison. Cette conception voit l’homme comme un organisme biologique complexe doté de nombreuses parties qui interagissent entre elles. L’environnement, dès les traités d’Hippocrate, est cet espace géographique, cet ensemble des éléments naturels qui entourent l’homme et agissent sur lui : éléments qu’il ingère, assimile ou qu’il subit. La deuxième conception serait une conception holistique et humaniste : centrée sur le vécu de la maladie. Il ne s’agit pas seulement d’une prise en considération du sujet et d’une reconnaissance de son appartenance à la communauté des hommes. Mais le malade devient le sujet de son monde vécu et relationnel. Cela débouche sur nouvelle conception de maladie et de la santé. Merleau-Ponty élabore une conception de la vie humaine où les significations sont constitutives du rapport au monde et où la santé et la maladie ne peuvent être comprises qu’en lien avec le monde vécu. L’état normal du corps comme centre de perspectives, est l’état dans lequel un individu est à même d’organiser son monde et d’y projeter des intentions signifiantes. Pour Goldstein, maladie et santé sont des formes du rapport au monde et à soi ne se réduisant pas aux problèmes organiques. Et enfin pour Canguilhem, la santé est un état dynamique dans lequel l’individu se taille un milieu de vie approprié.
Ainsi la maladie et la santé sont des formes de rapport au monde, à soi et aux autres, des styles de vie et de perception qui s’ancrent dans le corps. La médecine aurait ainsi pour viser d’aider la personne à se construire une nouvelle normativité – normes de vie acceptables, tolérables, vivables pour elle.
L’Homme est perçu comme un agent social, un être humain en relation et agissant en société. Et l’environnement est l’ensemble du milieu social culturel et relationnel dans lequel se meut l’individu mais aussi le monde que l’individu construit dans cet environnement.
Ces deux perspectives bien que distinctes sont complémentaires et éclairent des facettes de la médecine. Ces approches de l’environnement restent néanmoins anthropocentrés : environnement comme ce qui agit sur l’homme, l’entoure.
Or apparaît depuis une vingtaine d’années, une conception nouvelle qui relie la santé des êtres humains à une santé de la terre. La santé des humains dépend de la capacité renouvelée de la Terre à lui fournir des ressources alimentaires et à ne pas devenir un espace invivable. Elle émerge d’une part de la critique de la vision égologique du monde qui pose le problème de la légitimité de l’exploitation de la nature et celui de l’épuisement des ressources naturelles. Et d’autre part, elle affirme que l’élaboration d’un savoir et d’une réflexion sur santé humaine ne peuvent plus se développer en vase clos, comme si humains vivaient dans sphère distinctes des vivants non humains (qui ne sont plus seulement des transmetteurs de maladie ou des éléments hostiles ou propice à leur santé). Il s’agit d’étudier les relations mutuelles qui unissent les organismes vivants, les « fils insoupçonnés dont est tissé la trame qui nous enlace » à travers l’idée d’une solidarité et communauté de destin entre être vivants et environnement. Peut on avancer l’idée d’une solidarité des vivants ? d’une solidarité écologique qui rendrait la santé humaine indissociable de leur devenir et déboucherait sur des formes globales d’action à l’égard du vivant ? Comment franchir le saut du normatif et fonder l’affirmation d’une solidarité entre les vivants ? Peut-on se contenter de souligner la communauté de destin entre les humains, la société et son environnement par le passage d’une notion d’interdépendance entre les composantes de la biosphère à la solidarité ? Quelle est responsabilité humaine vis-à-vis de la communauté des vivants, devoir moral de se sentir tenus à une compréhension et à une action bienfaisante à l’endroit des écosystèmes et des espèces qui les entourent ? Comment permettre la prise de conscience d’une communauté de destin entre vivant considérée sur le mode de la nécessité ? Toutes ces questions sans réponse unanime témoignent néanmoins de l’expression d’un souci sur le devenir de la planète Terre qui remet en cause la focale exclusive sur la nature humaine.