Le suicide, un acte stoïcien? Tous les philosophes de cette école de pensée ne s’accordaient pas sur le sujet. Bertrand Quentin, philosophe et spécialiste de l’éthique, revient sur ce paradoxe pour éclairer les questions contemporaines sur l’euthanasie.
Première séance de l’année 2017/2018 du séminaire Ralentir travaux, de l’École d’éthique de la Salpêtrière invitée à présenter ses travaux à l’Hôtel-Dieu par la chaire de la philosophie à l’hôpital. Donnée le 21 novembre 2017 dans l’amphithéâtre Lapersonne, cette intervention est le prolongement de Comment les Stoïciens ont pensé la mort ? A propos de l’ouvrage Des philosophes devant la mort, Éd. du Cerf, 2016 que Bertrand Quentin, maître de conférences à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et directeur de l’École éthique de la Salpêtrière, avait proposé en 2016.
I – Paradoxe stoïcien du suicide
(6’) Un Stoïcien peut-il se donner la mort ?
Le stoïcisme préconise un déterminisme intégral : tout événement est totalement prévisible dans les éléments qui le précèdent. Le libre-arbitre est donc une illusion. Entre Socrate le Grec et Sénèque le Romain, les avis divergent. Si le premier refusait le suicide pour convenances personnelles, le second paraît l’accepter : “On doit compte de sa vie même aux autres ; de sa mort à soi seul : la meilleure est celle qui agrée”. (Lettre à Lucilius 70)
Sénèque (1995). Lettre à Lucilius 70 (Livres VIII à XIII) Tome III, étab. F. Préchac et trad. H. Noblot, Paris, Les Belles Lettres.
Pourtant, puisque, selon le stoïcisme l’humain est un animal social, “en quoi notre manière de mourir n’aurait pas également un impact sur la vie des autres ?” questionne Bertrand Quentin.
(14’41) Des souffrances – et des préconisations – différentes suivant qu’elles sont infligées par la nature ou par un tyran.
Sénèque se détache d’une allégeance au destin : “Vivre t’agrée, vit donc ! Vivre ne t’agrée pas, libre à toi de t’en retourner d’où tu es venu”. (Lettre à Lucilius 70)
Si le stoïcisme semble nous habituer à supporter toute épreuve, une douleur produite par la nature et une douleur produite par un tyran peuvent ne pas conduire à la même attitude :
(18’20) Le destin se lit-il dans les maladies et les handicaps ?
(22’50) Les fins de vie des stoïciens ou comment savoir entendre les signes du destin
Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres.
(27’06) Le suicide politique ou héroïque
Il est naturel de défendre sa société et possible de se suicider pour elle. Un pont entre stoïcisme et bouddhisme.
(32’25) De la théorie à la pratique : le tragique de la vie et de la mort de Sénèque.
Où Tacite (dans les Annales) rend héroïque la fin du philosophe. (âmes sensibles s’abstenir)
II – La reprise en main théologique et royale du suicide : mon existence appartient à mon Dieu ou à mon roi
Émile Durkheim, Le suicide, PUF. (première édition en 1897)
Maurice Halbwachs, Les causes du suicide, PUF. (première édition en 1930)
(50’29) Du meurtre étymologique à la condamnation théologique
(54’30) Reprise en main théologique poursuivie par le crime de lèse-majesté divine ou humaine
III – Un mouvement pour magnifier l’autonomie du sujet (“l’individu est son seigneur et maître”)
(58’09) Hume rompt avec le déterminisme divin dans Du suicide : Si le suicide était impie, pourquoi le divin en a-t-il donné la possibilité ? Il revendique le libre-arbitre pour contrecarrer la nature.
David Hume, Du suicide, Cécile Defaut (première édition 1770)
(1h’03’’10) – Faire de la douleur l’ennemi numéro 1
J. J. Buytendijk (biologiste, anthropologue, psychologue et physiologiste néerlandais) définit le terme d’algophobie, la peur de la douleur, qui devient une obsession contemporaine.
Pour les stoïciens, mourir par peur de la douleur serait une lâcheté. Au Moyen-Âge, c’est mourir dans son lit, seul, qui est la “malemort”, le pire.
(1h08’’32) – Les exceptions dans le droit classique romain à la condamnation du suicide
(1h10’’21) – Une biologisation psychiatrique qui efface le péché
(1h13’’35) – Le psychiatre face au suicide philosophique
Maël Lemoine, Introduction à la philosophie des sciences médicales, Med Herman, 2017.
La perte de sens de l’existence est devenue un phénomène médical traité avec des antidépresseurs.
(1h16’’43) – la médicalisation de la vie.
Mettre le médical au service de notre volonté : obsession moderne de la toute-maîtrise par l’individu.
Le suicide est en phase avec le refus moderne de toute passivité.
Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, Gallimard, 1991. (première édition en 1605)
Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, Pocket, 2017. (première édition 1931)
(1h20’’38) La mort de Chamfort et la mort de Freud. Faut-il donner les moyens de mourir simplement ?
Jean-Marie Gomas, “Euthanasie mais de quoi parle-t-on exactement ?“, Revue de gériatrie, novembre 2015.
L’attention à la singularité de chaque patient doit être réaffirmée devant la pente glissante de protocoles qui mécaniseraient cette fin de vie.
IV – Un sujet n’existe jamais seul
(1h26’’33) L’impact sur nos concitoyens vulnérables, effet mimétique dans les suicides.
Problème du jugement sur la valeur des gens et sur l’utilité d’une vie.
Véronique Lefebvre des Noëttes, “Signifier jusqu’au bout. Le dément a encore besoin de nous“, tiré de “Éthique et vieillissement” de la revue Gérontologie et société.
(1h32’’34) L’impact sur les personnels soignants et la rationalisation de la liberté de choix.
Témoignage d’Yves Delorte, médecin belge qui pratique l’euthanasie.
V – Vers une société mesurée ? Ce que nous dit la Loi Claeys-Leonetti
(1h36’’50) Euthanasie « réclamée » (suicide assisté et euthanasie) et euthanasie « imposée »
(1h39’’17) Faire la peau à l’obstination déraisonnable ?
L’acharnement thérapeutique comme oxymore.
Denis Moreau, Mort, où est ta victoire ?, Bayard, 2017.
(1h45’’23) Les soins palliatifs, entre l’obstination raisonnable et l’euthanasie
(1h46’’52) La Loi Claeys-Leonetti et conclusion
Didier Fassin, L’Ombre du monde, Une anthropologie de la condition carcérale, Seuil, 2015